Il y a précisément dix ans, à cette heure-ci, Darling et moi venions de terminer de dîner dans le calme. Puis nous nous sommes installés sur notre canapé tout neuf – nous avions emménagé quelques semaines auparavant – pour lire, ou peut-être regarder un film. Avec le son. Il faisait très chaud : je portais une robe ultra-légère, je venais de me faire couper les cheveux plus courts qu'ils ne l'avaient jamais été, et je transpirais quand même. La soirée s'est déroulée paisiblement, sans imprévu, sans interruption intempestive. Nous nous sommes couchés assez tard, vers onze heures et demie, sans redouter d'être réveillés dans la nuit ou aux aurores le lendemain matin. Nous avons encore papoté quelques minutes avant de nous endormir, à voix haute.
Nous ne le savions pas, mais c'était notre dernière soirée sans enfants.
Après ça, il y a eu la perte des eaux soudaine et inattendue, à minuit, alors que je commençais à m'endormir ; le coup de fil à mon père adoptif pour qu'il vienne me chercher ; le trajet en voiture ; l'examen, et la mauvaise nouvelle ("— Le travail n'a pas encore commencé. — Mais ça fait déjà mal ! — Ah oui, c'est le pré-travail...") ; les heures de plus en plus douloureuses ; la fatigue écrasante (c'était la première nuit blanche de ma vie !) ; le soulagement indescriptible de la péridurale au moment où j'aurais presque voulu mourir (on ne raisonne pas après avoir souffert pendant huit heures) ; les trois heures encore à tenter de rester éveillée et remuer faiblement pour aider le gamin qui avait du mal à trouver la sortie ; l'expulsion très rapide ; le petit être assez laid qu'on me pose sur le ventre... et puis l'apprentissage du manque de sommeil, les débuts difficiles de l'allaitement, les coliques, les premières semaines qui passent comme dans un cauchemar, les premiers sourires, les premiers mouvements conscients, les premiers sons, les premiers pas, et un nouveau-né qui se transforme en bébé, en bambin, en enfant.
Et bientôt en adolescent.
Dix ans demain. Dix ans qu'il a transformé ma vie plus que n'importe quel autre événement aurait pu le faire. Du jour au lendemain, finie l'insouciance, la liberté de choisir le matin ce qu'on fera le soir, le sentiment de n'être responsable que de soi-même, la possibilité de changer de vie du tout au tout. Et puis un amour incroyable, à nul autre comparable, avec la certitude qu'on se ferait scier la main toute entière, sans hésiter, pour lui épargner d'avoir le doigt coupé.
Dix ans passés à se disputer et à rire, à plaisanter et à gronder, à regretter l'indépendance envolée et à s'en réjouir, à le regarder grandir trop vite ou pas assez, à se demander ce qu'il deviendra, à se dire qu'au fond, on s'en moque, pourvu qu'il soit heureux.
C'est moi qui lui ai donné la vie ; mais c'est lui qui a fait de moi une mère.
Bon anniversaire, mon grand.
Joyeux anniversaire à ton grand ! Dix ans, ça se fête :)
RépondreSupprimerL'autre jour, j'ai eu envie de calculer l'âge actuel des gamins dont je m'occupais en tant qu'au pair (il y a 4/5 ans seulement !) et j'ai été absolument horrifiée. Je n'ose pas imaginer l'effet que ça fait quand il s'agit des tiens ! Ça passe à une vitesse...
Tanti auguri au Grand!
RépondreSupprimerJ'adore ton texte! Plein d'amour mais pas mièvre, entre les disputes et les rires, la vraie vie, quoi!
RépondreSupprimerJoyeux anniversaire à ton Grand!
roh j'ai presque versé ma petite larme, on va mettre ca sur les nuits trop courtes! Bon anniversaire au grand! 10 ans ca commence à compter!
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