dimanche 24 mars 2013

L'énigme du chirurgien : la féminisation des noms de métier

Je m'excuse auprès de ceux à qui j'ai déjà communiqué ce lien. C'est chez Olympe que j'ai trouvé cette vidéo qui m'a beaucoup intéressée. Deux femmes ont réalisé un micro-trottoir en proposant à des passants l'énigme suivante :
Un homme et son fils ont un accident. Le père meurt, et le fils est emmené en urgence à l'hôpital pour être opéré. Mais le chirurgien qui doit opérer le garçon s'exclame : "Je ne peux pas l'opérer, c'est mon fils". Comment est-ce possible ?
Une démonstration très percutante sur la manière dont les mots influencent notre vision du monde. Certains passants imaginent plus facilement une famille homoparentale qu'une femme chirurgien !

Cela fait des années que je milite pour la féminisation systématique des noms de métiers. Depuis le jour où, dans Le Monde, je crois, j'avais trouvé une "Madame LE secrétaire d'état". Un comble, alors que le mot "secrétaire" est épicène, et s'emploie nettement plus souvent au féminin ! Mais pas s'il désigne une haute fonction... J'avais aussi lu un article, toujours dans Le Monde, sur une linguiste qui s'agaçait du "Madame LE premier ministre" qu'on servait à tour de bras à Édith Cresson. L'auteure de l'article signait son article par "Machine, écrivaine", et ajoutait dessous : "Je défie quiconque de me prouver qu'écrivaine est plus laid que châtelaine".

Voici les principaux arguments qu'on entend contre la féminisation des noms de métier :
- C'est moche ;
- C'est artificiel ;
- Les féministes ont mieux à faire ;
- Ça ne sert à rien.


1 - Le fait qu'un mot soit jugé beau ou laid est exclusivement une question d'habitude. Quand j'ai lu le mot "auteure", pour la première fois, j'ai trouvé moi aussi ça très bizarre. Depuis que je l'ai employé plusieurs milliers de fois dans mes fiches de lecture, je vous assure qu'il ne me fait pas plus d'effet que "institutrice".
2 - D'accord, la féminisation de certains mots n'est pas évidente. Certes, ce serait plus logique de dire "autrice", sur le modèle de "acteur/actrice". Et alors ? C'est "auteure" qui a pris. Pas grave. La langue française est souvent totalement illogique, et le féminin de "loup" n'est pas "loupe". Et il me semble qu'on a inventé suffisamment de mots, ces dernières années, pour désigner des objets ou des concepts qui n'existaient pas. Que ceux qui refusent de dire "ingénieure" parce que c'est un néologisme me fassent le plaisir de s'interdire d'employer "blog", "comater", "dystopie", "homoparental", et bien entendu, "email" ou "courriel", je vous prie.
3 - Refuser de participer à cette féminisation sous prétexte qu'il y a des combats plus importants pour les femmes me paraît d'une absurdité sans nom. Dans ce cas, cessons de nous préoccuper du sort des Européennes, qui sont incroyablement bien loties par rapport à d'autres : nous nous attaquerons aux inégalités de salaires que le jour où toutes les femmes du monde auront autant de droit que nous (bonne chance). Et même, pourquoi nous inquiéter de celles qui n'ont aucun droit alors que d'autres sont assassinées ? Dois-je aussi cesser de cuisiner parce que manger du pain sec est moins grave que mourir de faim ?
4 - Surtout, et c'est probablement l'essentiel : les mots sont réellement importants. Quand on dit "chirurgien", on se représente un homme, comme le démontre la vidéo que présente Olympe. Et quand on se représente uniquement des hommes dans des métiers traditionnellement masculin, on ne risque pas de faire avancer leur féminisation. La féminisation des mots permettra de changer l'inconscient collectif. Seulement partiellement, bien sûr, car le pluriel et le neutre resteront masculins, et on dira toujours "les écrivains français". Mais au moins, on enterrera cette idée que pour ne pas dévaloriser une femme, il faut parler d'elle au masculin !

Par bonheur, malgré des résistances, y compris de la part de vraies féministes, les choses évoluent sur ce point. Aujourd'hui, aucun journal ne parle de Christiane Taubira comme DU ministre de la justice. Et même ce mot décrié, "auteure", est de plus en plus employé. Pour une fois que ça va dans le bon sens, réjouissons-nous !



Coda : hier, je discutais avec le Grand au sujet d'un roman :
— On sent bien que l'écrivain a voulu faire comprendre que...
Et lui, après un coup d’œil au prénom sur la couverture, le plus naturellement du monde :
— L'écrivaine, maman.
La relève est assurée.

2 commentaires:

  1. Je crois que je peux m'interdire d'employer "dystopie" ;)

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  2. C'est bien parce que tu ne fais pas de fiches de lecture ! Un bon quart des bouquins qui me passent entre les mains présentent une société future effrayante...

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