Aujourd'hui, un billet sérieux et bourré de chiffres, que j'ai
écrit avant tout pour moi-même, pour Darling et pour ma famille. Mais ça peut intéresser les gens qui se demandent comment on
concilie famille nombreuse et travail, et si le fait de bosser à la
maison rend la vie plus facile ou pas...
L'un des gros inconvénients quand on travaille à la
maison, c'est que les gens sont souvent persuadés qu'on ne travaille pas
vraiment, ou pas beaucoup. Un jour ou l'autre, il y a toujours une
grand-mère pleine de bonnes intentions pour vous demander si on ne
préfère pas chercher un "vrai" travail, ou un conjoint pour trouver ça
tout naturel que ce soit vous qui alliez à la pharmacie ou triiez les
cartons de vêtements des gamins, puisque lui n'a pas le temps.
Comme
je suis de bonne foi (de temps en temps), je m'interroge régulièrement sur ce point. Après tout, je passe beaucoup de temps sur Internet, je ne
minute pas mes pauses déjeuner, et quand je suis enceinte, il m'arrive
même de m'octroyer occasionnellement une sieste. En toute franchise,
est-ce que je travaille 35 heures par semaine, comme Darling ? Souvent, à
la fin de la journée, je me dis que non.
J'ai donc décidé de faire le calcul, tout simplement.
Pour
commencer, quand je me retrouve enfin seule à la maison le matin après
avoir conduit les gamins à la crèche ou les avoir salués par la fenêtre
pendant qu'ils partaient avec Darling, je débute invariablement ma
journée par des tâches ménagères. Lessives, lave-vaisselle, pain ou
yaourt, rangement, etc. Il est très rare que je m'assoie devant mon
ordinateur avant 10h, souvent 10h30.
Et une fois enfin assise, mon
thé (ou mon infusion veinotonique, beurk) à la main, croyez-vous que je
me lance dans ma traduction à corps perdu ? Non, je vérifie mes emails.
J'en écris, parfois. Puis je fais un petit tour sur quelques blogs,
entre autres de cuisine. Je blogue moi-même, maintenant. Et puis je me
rappelle que je voulais vérifier le prix des lits de bébé sur eBay. Ah
et puis tiens, j'appelle la coiffeuse, pour prendre un rendez-vous. Oh,
ça fait des semaines que je veux m'abonner à un deuxième panier bio ;
aujourd'hui, je le fais. Donc d'abord, je vérifie quels sont les lieux
de livraison, les horaires, les prix, les prix de la concurrence, et au
fait, l'AMAP qui était complète a peut-être de nouveau des places ?
Voyons ça. Tiens, ça me rappelle qu'on n'a plus de beurre, ni de
fromage, ni de... Bon, je vais passer une commande chez Houra. Ah, et
puis ça fait longtemps que je n'ai pas appelé ma mère, je vais lui
passer un petit coup de fil.Allez, là il faut vraiment que je travaille. Ah, un nouvel email ! Je réponds, puis je m'y mets. Voilà, je m'y mets.
Pas longtemps. Parce que j'ai très vite faim, en général au plus tard à midi et demie. Donc je vais manger.
Bilan : dans le meilleur des cas, j'ai bossé une heure avant le déjeuner.
Je
mange en lisant quelque chose, et en prenant mon temps. Puis je lance
une autre lessive, je fais des biscuits pour les gamins, et puis tiens,
peut-être des pannacotta, ça fera plaisir au Grand et à Darling. Je
range un peu la cuisine, si j'ai le courage.
Oh, mince, il est déjà presque 15h ? C'est une blague ?
Pour
le coup, je m'y mets, et je m'y mets vraiment, sans plus m'arrêter
jusqu'à l'arrivée du Grand, un peu avant 17h. Si c'est Darling qui va
chercher les gamins, je bénéficie encore d'une demi-heure de calme ;
sinon, je m'arrête là.
Prenons le pire des cas : j'ai travaillé 3h pendant la journée. Ce qui nous fait 15h par semaine.
Ah ben oui, vu comme ça, c'est sûr que ça justifie que ce soit moi qui me tape les lessives.
Sauf que... non, attendez, j'ai oublié quelques détails.
Le
soir, une fois les gamins couchés, au moment où Darling allume la
télévision, je m'y remets presque systématiquement. Et bizarrement, je
travaille souvent mieux, à cette heure-là. Je peux éventuellement encore
écrire quelques emails ou imprimer quelques formulaires pour la sécu,
mais je travaille au moins deux heures avant d'aller me coucher. Environ
une fois par semaine, je sors, ou j'invite quelqu'un à dîner, ou
j'essaie de choisir un prénom avec Darling. Reste que ça fait 8h de plus en soirée du lundi au vendredi, ce qui nous amène à 23h par semaine.
Et
le weekend, vous croyez que mon ordinateur reste éteint ? A moins de
m'effondrer de fatigue, je travaille au minimum une heure pendant la
sieste des Things (et de Darling). Et puis encore deux heures lesoir.
Donc en tout, 6h par weekend, en moyenne. Nous arrivons à 29h par semaine.
29h par semaine de quoi, au juste ? De travail rémunéré :
traduction ou fiche de lecture. Oui, mais figurez-vous que pour faire
des fiches de lecture, il faut d'abord lire le bouquin. A l'heure du
déjeuner, par exemple. Eh oui, Télérama ne me dure pas toute la
semaine. Parfois, ce sont des épreuves qu'il faut relire, même si la
traduction a déjà été payée. Et d'autres éléments de travail se sont
planqués dans le texte, plus haut. Vous y êtes ? Oui, voilà : la phrase
récurrente "J'écris un email". Je n'ai pas vingt grands amis très
bavards qui m'écrivent tous les jours, malheureusement. J'écris donc à
tel éditeur pour lui réclamer mon contrat, à tel autre pour lui demander
s'il a reçu tel bouquin auquel je m'intéresse, à un autre encore pour
lui envoyer mes fiches de lecture, ou pour lui envoyer une facture
(qu'il a donc fallu que je rédige au préalable) ou pour discuter avec
lui du titre en français de ma dernière traduction. Tout ce travail
"invisible" et non rémunéré mais indispensable me prend au moins une heure par jour ouvrable. Donc 29 + 5 ; nous voici à 34h par semaine.
Voilà qui commence à devenir raisonnable, n'est-ce pas ?
Mais j'ai un dernier atout dans la manche.
Quand
Darling ou un salarié lambda est en vacances, il est en vacances.
Pendant cinq semaines par an, plus les jours fériés, donc au moins six
semaines en tout. Moi, si j'arrive à prendre deux semaines sans
travailler du tout, sans même lire des manuscrits, je suis déjà ravie.
Le reste du temps, je fais comme le weekend : deux ou trois heures de
travail quand les enfants dorment. Mettons deux heures et demie, sur quatre semaines pendant lesquelles un salarié se tourne les pouces. Soit 112 heures en tout, à répartir sur les semaines travaillées de l'année. Plus de deux heures par semaine, donc.
Conclusion ? Nous arrivons à plus de 36h par semaine travaillée. Et j'ai calculé au plus juste.
Plus que le salarié qui fait 35h par semaine ou celui qui fait 40h par semaine avec des RTT au bout, donc.
Une dernière chose : la franchise doit être dans les deux camps.
J'ai avoué très honnêtement que je passais souvent du temps sur Internet
au lieu de bosser. Et les salariés qui sont dans leur bureau exactement
7h par jour, passent-ils exactement 7h par jour à bosser, et pas une
minute de moins ? N'écrivent-ils jamais d'email personnels ? Ne
bavardent-ils pas avec leurs collègues devant la machine à café ? Ne
passent-ils pas de temps en temps un petit coup de fil à leur moitié ? Ne sortent-ils pas dix minutes pour fumer une cigarette ? Ne vont-ils pas faire un petit tour sur Internet, eux aussi ?
Autrement dit, 35h de présence hebdomadaire au boulot n'équivalent-elles pas souvent à 30h de boulot effectif, voire moins ?
Alors certes, de nombreux travailleurs indépendants, dont beaucoup de traducteurs, travaillent 50h ou 60h : je l'ai fait moi-même à
certaines époques de ma vie, quand je n'avais qu'un seul gamin déjà
grand. Et je sais qu'il y a aussi beaucoup de salariés qui passent bien
plus que 40h par semaine au boulot (ce qui prouve simplement qu'ils
n'ont pas d'enfants ou qu'ils laissent leur conjoint gérer la vie de
famille et les tâches ménagères, ou encore qu'ils emploient nounou et
femme de ménage, donc la situation n'est pas vraiment comparable). Mais
la preuve est faite que ce n'est pas parce que je travaille à la maison que j'ai plus de temps libre que si j'allais
dans un bureau du lundi au vendredi, même en comptant une heure de transport par jour aller-retour. Mes journées, et surtout mon année,
sont organisés différemment, c'est tout.
Un de ces jours, je calculerai aussi le temps consacré aux taches
ménagères et aux enfants, et le temps libre dont je dispose concrètement... Mais là, je vous laisse,
il faut tout de même que je songe à travailler encore un peu avant de
déjeuner !
Ah, le coup du "vrai travail" j'ai déjà eu droit aussi.
RépondreSupprimerEt quand on ne fait que s'occuper de ses six enfants, on peut parler de travail ???
RépondreSupprimerComment ça, Fofo, tu ne bosses plus que 40 misérables heures/semaine, enceinte jusqu'aux yeux et déjà triplement chargée de famille ? Bon, ne viens pas nous raconter que tu as utilisé une pâte à tarte toute prête, sinon, là, le mythe s'écroule vraiment !
RépondreSupprimer@ Alphonsine : Non, c'est bien connu, la mère au foyer est une sale feignasse qui fait des mômes pour les allocs et passe ses journées à se tourner les pouces aux frais de l'honnête travailleur...
(Comme on ne se connaît pas, je précise que je plaisante. Sachant commme c'est mal vu en France de prendre un congé parental, avoir plus de 3 enfants, ou travailler à la maison, j'imagine les murs d'incompréhension auxquels tu dois te heurter...)