Alors, d'abord, comme ceux qui ont lu mon bref message d'hier l'ont certainement deviné, j'ai pris le train. J'avais des choses très importantes à faire dans la maison où nous allons passer tout l'été en famille, et je n'avais que trop tardé. Des démarches, des travaux, des préparatifs pour que tout soit à peu près correct lors de notre arrivée. Dimanche, après avoir mis les gamins à la sieste, je me suis donc éclipsée. Sur le seuil de la porte, un Darling malheureux comme les pierres m'a lancé :
— Tu es sûre que tu as vraiment besoin d'y aller, ou c'est juste pour t'évader ?
Le vilain.
Avec ma valise bourrée de boulot accompagnés de deux ou trois T-shirts, je suis montée dans mon train, en première classe. Oui, j'avais pris mon billet très tôt, et la différence de prix était négligeable, donc je m'étais dit que j'allais en profiter. Je me suis assise à ma place isolée avec un grand soupir d'aise, et j'ai sorti ma traduction à relire et mon stylo rouge. Et aussi un châle plié pour faire office d'oreiller, en cas de petit somme fort probable (j'avais passé une mauvaise nuit, encore).
Juste à côté de moi, de l'autre côté de l'allée, s'est installé une famille.
Une femme avec sa mère, son père, sa soeur, sa nièce d'une quinzaine d'années, son mari...
... et sa fille de quatre ou cinq ans.
Italienne, la famille.
J'ai sorti aussi des boules quiès. J'étais fière de moi. J'avais tout prévu.
Sauf que non, j'avais oublié la batte de baseball.
Pendant les quatre heures qui ont suivi, je n'ai pas dormi, ni travaillé. Pendant ces quatre heures, la gamine a chahuté. Elle a chanté de sa voix suraiguë, elle a plaisanté avec les membres de sa famille, elle a joué à sauter comme une grenouille dans l'allée entre les sièges, à dix centimètres de moi. Malgré mes boules quiès, j'entendais chacun des mots qu'elle braillait. Fatiguée, je m'endormais malgré moi, et j'étais réveillée en sursaut par un éclat de voix. Aucun des six adultes qui accompagnaient la petite n'a eu l'air de trouver ça anormal. Tout au plus lui lançaient-ils un "Moins fort, ma chérie" sans aucune conviction si vraiment je sursautais trop violemment. Personne ne lui a raconté de livre. Personne ne lui a mis un DVD. Personne ne lui a fait écouter de la musique. Personne ne lui a chanté une berceuse. Personne ne l'a emmenée se défouler dans le sas entre les wagons. Personne ne l'a pris sur les genoux pour regarder par la fenêtre, "Oh, tu as vu, une vache ! Oh, une maison, là-bas ! Oh, ça alors, un arbre !"
Et dire que moi, on m'avait fait une remarque parce que j'avais mis un film muet à mes gamins pour les faire taire et qu'ils riaient, pendant que Darling promenait le bébé.
Bref.
Au bout de quatre heures, un siège à quelques mètres de là s'est libérée, et j'ai changé de place. J'entendais encore tout ce que disait la môme, mais moins fort. J'ai pu commencer la relecture de mon manuscrit.
C'est à ce moment-là que mon voisin de devant s'est mis à passer des coups de fil depuis son siège, dont le fameux "Oui, c'est pour te dire que j'arrive dans une heure".
La prochaine fois, j'y vais à pied.
Le reste du voyage s'est bien passé. Après une étape chez une amie, je suis arrivée à destination le lundi matin. Dans les trois jours qui ont suivi, j'ai changé des lits de place (les Things vont dormir dans des "vrais lits", maintenant), pris des mesures pour commander d'autres meubles, mis quelques petites choses au clair avec mes voisins qui ont planté des oignons au beau milieu des rosiers de feu ma grand-mère et des pommes de terre entre les lys et la lavande, retrouvé mes clefs (je les avais donné à une femme de ménage, qui les avait données au boucher, pour qu'il les donne à son frère, qui devait les donner à sa femme qui s'est découverte lesbienne et voulait quitter son mari pour habiter quelques mois chez moi avec ses trois enfants, sauf qu'elle y a renoncé, donc elle les a donné à mon intendant, qui me les a redonnées, de sorte que j'ai pu les redonner à la femme de ménage), et j'ai même réussi à payer une taxe que m'avait réclamée la mairie. J'y suis allée le mardi matin, avec mon chéquier. Mais la mairie n'acceptait pas les chèques. Un virement, alors ? Non plus. Du liquide ? Pas plus. Alors quoi ? Faut aller payer à la poste, juste en-dessous de la mairie, avec le TIP (ou équivalent). Ah, mais je n'ai pas pris le TIP, il est resté à Paris. Alors je vais vous le réimprimer. Tout de suite ? Ah, non, pour demain. Le lendemain, le TIP est prêt. Bon, alors je vais à la poste, maintenant ? Ah non, elle n'ouvre qu'un jour sur deux, il fallait y aller hier. Mais vous n'aviez pas le temps d'imprimer le TIP, hier. Alors faudra y aller demain. Mais je pars ce soir ! Ah bon, alors il faut aller à la poste du village voisin. Voiture. Poste du village voisin. Ordinateur en panne, revenez demain. Je peux pas, demain ! Alors attendez une heure. Vous n'êtes pas pressée, dites ? Non, pensez-vous...
Quand j'ai terminé les rangements et les formalités administratives, j'ai réglé des détails, fait des lessives, et puis travaillé un peu, quand même. En mangeant des cerises. Sur la terrasse avec une vue magnifique. Au soleil.
— Heureusement que je suis venue, ai-je dit le dernier soir à Darling, au téléphone. J'ai préparé la chambre des enfants, je suis allée à la mairie, j'ai acheté une veilleuse, j'ai rangé les draps, j'ai changé le siège des toilettes, j'ai balayé la maison...
— Et n'aurait pas pu faire tout ça en arrivant, en juillet ?
Le gros vilain.
(Bien sûr que si, on aurait pu, en fait.)
Un kilo de cerises, un kilo de fraises, un melon et quatre plats de pâtes fraîches plus tard, après deux grasses matinées jusqu'à huit heures, deux couchers de soleil magnifiques, un orage pluvieux qui a rendu la terre merveilleusement odorante, un roman palpitant, quelques cappuccini, quelques heures de traduction sans stress, une grande balade nocturne en ville avec une amie, et un voyage de retour sans histoire ni sale môme, je suis revenue avec l'impression d'être partie trois semaines en vacances.
Et puis au retour, j'ai trouvé : un bac à linge sale qui débordait jusque dans la couloir ; un bébé qui s'est réveillé trois fois pendant la nuit ; du boulot en retard ; un déménagement à préparer ; une chambre d'enfants dans un désordre tel qu'on ne pouvait plus circuler ; un frigidaire complètement vide ; un Grand qui tempêtait parce qu'on n'avait pas encore fait les cartons d'invitation pour son anniversaire ; une future cuisine en chantier avec un plan de travail qui a été mal découpé ; un gamin dans un pantalon qui ne lui appartenait pas, probablement prêté par la crèche ; trois colis et une lettre recommandée à retirer chez le gardien...
Si je pouvais, j'y retournerais tout de suite, tiens. Quitte à reprendre le train avec la famille italienne !
"Un kilo de cerises, un kilo de fraises, un melon et quatre plats de pâtes fraîches plus tard"...
RépondreSupprimerMoi, j'ai compris pourquoi tu tenais à y aller début juin !
C'est toujours drôle de te lire, on imagine tout parfaitement !
RépondreSupprimer4F : bien vu ! En fait je voulais tomber à la saison où MES cerisiers seraient en fleur, parce que l'année dernière, j'avais eu cette chance par hasard, pour la première fois de ma vie. Sauf qu'avec le printemps frisquet (je n'ai pas dit pourri !) que nous avons eu, aucun arbre fruitier ne donnera quelque chose, cette année. Mais il y avait des fruits venu du sud du pays, déjà mûrs, eux, et à un prix incroyablement plus abordable qu'à Paris...
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