dimanche 26 mai 2013

Mon parcours professionnel : comment je suis devenue traductrice

Une peut-être-future-traductrice m'a demandé récemment comment j'avais atterri dans ce métier. Comme c'est une question récurrente, je me suis dit que j'allais répondre sur ce blog afin que tout le monde en profite (et surtout, comme ça, la prochaine fois, je pourrais répondre par un lien) (flemmarde, moi ?).

Quand j'étais petite, je voulais être actrice à la Comédie Française, ou peut-être fermière, ou écrivaine, ou éventuellement institutrice... Enfin, je n'avais pas les idées très claires sur la question. Une seule chose était certaine : je ne voulais pas être traductrice. En effet, beaucoup de gens, surtout parmi mes camarades de classe, s'imaginaient que je m'orienterais tout naturellement dans cette direction, puisque je parlais deux langues. Et j'avais toujours bien du mal à leur expliquer la difficulté de passer d'une langue à l'autre, de traduire une idée quand les concepts ne se recoupent pas, de faire cette gymnastique mentale qui consistait à trouver deux manières de dire presque la même chose. Je leur racontais qu'à chaque fois que j'allais en vacances chez ma grand-mère, à l'étranger, je cherchais mes mots pendant deux jours, et qu'à mon retour, il me fallait aussi un certain temps pour recommencer à parler français sans hésitations. Ma certitude sur ma non-vocation me fait sourire aujourd'hui, mais ça prouve que j'appréhendais déjà, bien plus qu'un monolingue, la complexité de l'exercice.
Ensuite, au lycée, j'étais nulle, mais vraiment très nulle en anglais, donc je me suis jurée de ne pas faire un métier qui impliquerait l'usage de cette langue.

Après le bac, j'ai fait Science-po dans la vague intention de devenir membre de la Commission Européenne, mais quand j'ai réalisé qu'il n'y avait pas  beaucoup de postes à pourvoir et beaucoup de candidats, j'ai renoncé. Une fois mon diplôme obtenu, après un stage de quelques mois dans une toute petite maison d'édition dirigée par un Anglais, j'ai pris le taureau par les cornes et l'Eurostar jusqu'à Londres. Je vous raconterai peut-être un jour mon séjour là-bas, mais en résumé, quand je suis revenue un an et demi plus tard, je parlais anglais, je jouais (un peu) au piano, j'avais une expérience professionnelle sur mon CV (en librairie), et j'avais même trouvé un Darling, donc dans l'ensemble, bilan positif. Sur le conseil d'un proche travaillant dans ce milieu, j'ai postulé auprès d'une agence qui s'occupait de vendre en France les droits de traduction de livres étrangers. La patronne était marteau, mais ça m'a donné une première vision des mécanismes de la vente de droits, ce qui m'a permis, après mon congé maternité, de retrouver assez vite un travail dans une "vraie" maison d'édition, en tant qu'assistante au département des droits étrangers, justement. Boulot pas toujours passionnant, mais qui a complété ma connaissance de la chaîne du livre – et puis l'ambiance était drôlement sympa, ce qui ne gâte rien.

En attendant, je continuais à lire, beaucoup, beaucoup (genre trois ou quatre livres par semaine quand je n'avais pas de gamins) (soupir). Plein de choses, mais surtout des grands classiques et des livres pour les enfants, en alternance. Je faisais ça déjà quand j'étais ado, je m'enfilais un Fantômette en prenant mon goûter avant d'enchaîner avec un Zola une fois que je m'étais un peu reposé les neurones. La différence, c'était que maintenant, je lisais dans plusieurs langues. Et c'est comme ça qu'un jour, je suis tombée sur un bouquin étranger pour les 11-12 ans vraiment très bien, intelligent, drôle, palpitant, partant d'une idée originale. Et pour la première fois, je me suis demandé comment c'était possible que ce machin n'ait pas été traduit en France.
Parallèlement, je m'étais fait une copine à l'agence qui était ensuite devenue traductrice, ce qui m'avait donné des idées.
Donc voilà, je me suis dit que ça ne coûtait rien d'essayer, j'ai appelé l'éditeur d'origine pour savoir si les droits français étaient libres, j'ai traduit les trois ou quatre premiers chapitres pour voir si j'y arrivais et si j'aimais ça, j'ai contacté une éditrice française qui avait publié un autre livre de cet auteur mais pas celui qui me plaisait tant, et je lui ai donné tout le matériel que j'avais rassemblé : le bouquin, les premiers chapitres traduits, un synopsis assez détaillé, une fiche de lecture, et même quelques articles de journaux élogieux que m'avait envoyé l'éditeur d'origine.

Et le miracle est arrivé : l'éditrice m'a dit... qu'elle ne voulait pas de ce bouquin, merci, mais qu'elle avait besoin d'une lectrice pour faire des fiches de lecture, et que si ça m'intéressait, elle penserait à moi la prochaine fois qu'elle aurait un bouquin à traduire. C'est comme ça que j'ai mis un pied dans la porte. Un an plus tard, j'ai traduit mon premier livre pour elle (et quelques années après, elle m'a même fait traduire celui que je lui avais présenté au début !). Et puis j'ai contacté d'autres maisons d'édition. J'ai travaillé comme lectrice pour deux ou trois maisons, et commencé à faire des traductions au compte-goutte : une la première année, deux la deuxième, trois la troisième... (Rassurez-vous, je ne suis pas montée à dix traductions la dixième année). Certains contacts ont été très précieux, d'autres m'ont promis monts et merveilles et m'ont laissée le bec dans l'eau ; j'ai connu des grosses déceptions, et aussi des grandes joies ; j'ai eu des ras-le-bol, des youpi, et petit à petit, j'ai creusé mon trou. Au bout de quelques années, j'ai dû renoncer à mon poste d'assistante, même à temps partiel, car mes trois demi-journées de libre par semaine ne me suffisaient plus. Lorsque je me suis retrouvée sans salaire fixe, j'ai dû beaucoup prospecter pour combler ce manque à gagner, mais finalement, il s'avère que j'ai fait le bon choix, car je gagne désormais nettement mieux ma vie. Ces derniers temps, je travaille régulièrement pour les mêmes trois ou quatre éditeurs, qui me proposent souvent des nouvelles traductions sans trop que j'aie besoin de les relancer, ce qui m'a permis de moins prospecter et de faire moins de fiches de lecture (boulot plutôt sympa, mais très mal payé en taux horaire : je ne peux plus me le permettre, vu le peu de temps dont je dispose).

Je voudrais tout de même insister sur quelques points, à l'attention des traducteurs en herbe qui pourraient atterrir sur ces pages :
- Une de mes chances principales est de traduire depuis plusieurs langues, dont des "langues rares" (définition de "langue rare" : langue qui n'est pas l'anglais. Si, je vous jure.) A chaque fois, sans aucune exception, que j'ai réussi à mettre le pied dans une nouvelle maison d'édition, ou même qu'on est venu me chercher, c'était pour une autre langue que l'anglais. La concurrence est beaucoup plus rude pour les traducteurs qui ne bossent qu'en anglais, malheureusement.
- Même avec un bon CV, une renommée flatteuse, une solide expérience, on n'est jamais à l'abri d'un revers. Je vous l'avais raconté il y a quelques mois : il suffit d'un coup de malchance ou d'une combinaison de problèmes pour se retrouver tout à coup au chômage. Pour moi, ça s'est assez vite arrangé, mais ce n'est pas toujours le cas.
- Mon récit peut donner l'impression que je suis devenue traductrice par hasard. Ce n'est pas le cas. Pour devenir traducteur littéraire, il faut aimer lire (ça paraît évident), et surtout, il faut aimer écrire. Je n'ai pas suivi de formation spécifique pour devenir traductrice, mais j'ai lu des milliers de bouquin dans ma vie, et j'ai toujours énormément écrit, depuis l'époque où j'abreuvais ma meilleure amie de lettres de huit pages jusqu'à aujourd'hui, où je profite de la sieste de mes gamins pour alimenter mon blog au lieu de bosser. Une chose à savoir : pour devenir un bon traducteur, le plus important, ce n'est pas de maîtriser à 100% la langue-source (la langue que l'on traduit), mais de savoir utiliser au mieux la langue-cible (la langue vers laquelle on traduit).

Je vous parlerai peut-être un autre jour des avantages et inconvénients de ce métier, des aspects pratiques de la vie d'un traducteur, des qualités requises, des spécificités de la traduction jeunesse, etc. Mais pour le moment, je vais essayer de terminer ma dernière traduction, justement...

1 commentaire:

  1. Passionnant, surtout pour moi qui ai suivi d'assez près toute ton évolution
    Affection
    Binou

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