C'est la plus longue traduction que j'aie jamais faite (pour l'instant). J'ai bossé tout l'été, pendant mes "vacances", pour la terminer à temps. J'ai rendu un texte impeccable, sans fautes d'orthographe (j'ai un correcteur très performant), sans coquilles, parfaitement bien ponctué, relu deux fois, avec en prime des explications sur mes choix de traduction et un index des noms enrichi par rapport à celui de la VO. Du bon boulot, quoi. Normal, en fait : rien de plus que ce pour quoi je suis payée. J'ai d'ailleurs été bien payée, et assez vite.
Sauf que quand on est traducteur, même quand la traduction est terminée et qu'on ne recevra plus un seul centime, le boulot n'est pas terminé : il y a les épreuves, c'est-à-dire, pour ceux qui ne connaissent pas ce milieu, le texte corrigé par un correcteur professionnel, et mis en page. En théorie, les éditeurs sont tenus d'envoyer les épreuves à l'auteur ou au traducteur, pour que celui-ci donne son "bon à tirer", ou BAT, c'est-à-dire qu'il vérifie que le texte est bien conforme à celui qu'il veut voir apparaître en librairie sous sa signature. En pratique, certains éditeurs "oublient" d'envoyer les épreuves, et ceux qui le font envoient bien souvent les premières épreuves, qui seront encore corrigées par quelqu'un, et non les dernières épreuves, ce qui signifie qu'on ne voit pas le texte définitif. Mais le plus souvent, c'est bien suffisant. Même si je trouve forcément quelques bourdes, j'ai en moyenne une remarque, une correction ou une objection à apporter toutes les dix ou quinze pages, pas plus. Je ne renvoie d'ailleurs jamais les épreuves sur papier, j'écris juste un email avec la liste des dernières modifications à apporter.
Mais tous les traducteurs ont connu un jour ou l'autre des épreuves éprouvantes. Les plus fréquentes sont celles où on s'aperçoit que le correcteur a fait du zèle. Surtout quand le texte est traduit de l'anglais, et que le correcteur est anglophone. Il est alors susceptible d'introduire des contresens monstrueux parce qu'il est trompé par des faux amis, ou des tournures de phrases affreusement lourdes parce qu'il juge que le traducteur s'est trop éloigné du texte, ou des erreurs de grammaire ou d'orthographe parce qu'il croit, sans avoir vérifié, que le traducteur a fait une faute. Un exemple personnel : un de mes personnages, après avoir été malade, était de nouveau "sur pied" au bout de deux ou trois jours. La correctrice avait ajouté un S : "sur pieds". Non non, ai-je noté dans la marge : vérifiez donc dans un dico, on écrit bien "sur pied", au singulier, comme on écrit "à pied". Mais ça la perturbait vraiment, ce singulier, donc par retour de courrier, elle m'a proposé d'écrire que mon personnage était de nouveau "sur ses pieds". HEIN ? Mais bien sûr. Et donc, quelques pages plus loin, au lieu d'aller à la gare à pied, il devait y aller "avec ses pieds", j'imagine ?
Malgré quelques petits incidents, jusqu'ici, j'avais cependant échappé aux épreuves catastrophiques. Jusqu'ici.
Plus maintenant. C'est enfin arrivé, et manque de pot, c'est tombé sur le roman le plus long que j'aie jamais traduit.
Première page, premier paragraphe : Il se redressa peu à peu et grimace.
Un peu plus loin : Soutiens-là !
Encore plus loin : Elle en compta six, mais se doutait qu'elles étaient bien plus nombreuses davantage.
Juste après : Le corps heurta le sol avec un son mal.
Etc.
Ajoutez à cela une ponctuation lamentable, et des modifications injustifiées (certes, "prie-dieu" est plus courant que "agenouilloir". Mais si j'ai choisi ce dernier mot, c'est peut-être parce que sur cette planète, la divinité suprême est une déesse, non ?)
Cette fois, je pense que ce ne sont pas tant les corrections elles-mêmes qui sont en cause que le report des corrections. Comme si l'écriture du correcteur n'était pas très lisible et si c'était un stagiaire ne parlant pas un mot de français qui avait intégré les corrections ensuite.
Du coup, au lieu d'une erreur, coquille, répétition grossière, virgule mal placée, mauvaise
concordance des temps etc. toutes les dix pages, j'en
trouve environ deux par page.
Et il y a 474 pages.
Plus de 20 heures de boulot, au rythme où je vais. Trois jours. Non rémunérés. Alors que je suis en retard sur ma prochaine traduction, déjà.
(Non, je ne peux pas m'en laver les mains et refuser de relire les épreuves. Mon nom sera sur le bouquin. Tout le monde croira que les contresens et phrases bancales sont de moi !)
Allez, j'y retourne. Et pour le second volume, je leur suggérerai aimablement de faire plus attention...
(Je me demande s'il me reste du chocolat non grignoté par les souris quelque part ?)
Si c'est bien l'éditeur auquel je pense, je n'ai jamais lu un bouquin d'eux en jeunesse où il n'y ait pas de nombreuses coquilles, erreurs, etc. Je trouve ça d'une incorrection (c'est le cas de le dire...)
RépondreSupprimerHmm, et ton correcteur préféré, si tu tapes "erreurs de grammaires et d'orthographes", il ne tique pas ;) ?
Bon courage pour la galère
Mon très cher Antidote n'est pas installé sur Blogger, j'ai juste le correcteur lambda, celui qui repère "gramaire" mais pas "grammaires", puisque c'est un mot qui existe... Allez, on va dire qu'Antidote a droit à un peu de vacances de temps en temps, au moins quand je blogue, non ?
RépondreSupprimer(Quand je dépasserai les 500 visites par jour, je te donnerai les clefs du blog pour que tu puisses venir corriger les fautes discrètement, d'accord ?)
Hi, hi ! On fait comme ça ! (Vu le thème abordé, j'ai pas pu me retenir, désolée !)
RépondreSupprimerJ'ai pas tout compris. L'erreur "sur pieds", l'erreur de concordance de temps "grimace", etc., elles venaient de qui?
RépondreSupprimerDe toi, d'une correction automatique du correcteur, ou d'une correctrice humaine de la maison d'édition?
Rien à voir : j'ai appris qu'il existait un mot rigolo en finlandais pour désigner les gens obsédés par l'orthographe quitte à passer pour des casse-pieds. On les appelle "Pilkunnussija". Et ça veut dire "enculeur de virgule" :D
C'était dans un article du site "cracked" sur certains mots étrangers qui n'existe pas en anglais.
http://www.cracked.com/article_19695_9-foreign-words-english-language-desperately-needs_p2.html
Si c'était moi, je me garderais bien de râler, voyons ! Relis donc : j'ai écris "La correctrice avait ajouté un S : sur pieds". Je dis aussi que j'ai rendu un texte impeccable, sans fautes ni coquilles. Aurais-tu été découragé par la longueur de mon message et lu en diagonale, par hasard ? Allez, je résume : dans certains cas, heureusement assez rares, le texte est beaucoup plus bourré de fautes après être passé dans les mains d'un correcteur (humain !) qu'avant d'être "corrigé". Ce qui est d'autant plus rageant quand ça tombe sur un roman particulièrement long...
RépondreSupprimerCela m'étonne tout de même énormément que, comme tu le suggères, cette maison fasse appel à un relecteur ou à un correcteur dont le français n'est pas la langue maternelle, alors que ce travail de fourmi exige une maîtrise parfaite du français.
RépondreSupprimerC'est clair que c'est rageant de perdre un temps précieux à apprendre son métier à l'autre, en d'autres termes. Pas de chance que ça t'arrive sur ta plus longue traduction... Allez, courage !
J'ai bien dit "comme si", hein : je n'avance rien ! Et je ne pense pas que c'est le correcteur qui a fait toutes ces bourdes, en tous cas pas les coquilles ; je pense que c'est la personne qui a intégré les corrections dans le fichier. Et ça, oui, ça pourrait bien être un stagiaire, francophone ou non, ou tout simplement quelqu'un de trop pressé...
RépondreSupprimerJ'adore ce blog et je me fais violence pour ne pas jouer les sous marins et venir le dire ! Voilà qui est fait !
RépondreSupprimerTraductrice... ça fait rêver, comme tous les métiers qu'on n'exerce pas et dont on ne voit pas les inconvénients !
En plus j'ai cru comprendre que tu traduisais l'une de mes auteures de polars préférées...
Ah, ça c'est vraiment gentil ! Je me demande souvent qui sont ces gens qui me lisent chaque jour, et dont seule toute petite poignée commente régulièrement.
RépondreSupprimerJe ne traduis pas de polars : ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Beaucoup de fantastique, par contre. J'ai beaucoup plus souvent eu à employer des phrases comme "elle dégaina son épée magique" ou "il lui jeta un sort" que "un coup de feu éclata"...
@Fofo : C'est bien ce qui m'avait semblé, mais c'était pas super clair. J'avais du mal à y croire.
RépondreSupprimerUne correctrice humaine de la maison d'édition qui rajoute des fautes, c'est le pompon!
Tu lui remets une version propre, elle la détériore, et c'est toi qui doit réparer derrière sans être payée pour ces heures sup'.
Ouhla ! Je compatis, Fofo, je compatis.
RépondreSupprimerEt j'espère qu'il te reste du chocolat ;-))