— Non, moi pas pipi ! A pas veux ! Pas là, pipi ! Nooooon ! NOOOOON !
Hurlements, cris, rugissements, larmes, et je me roule par terre, et je tape mes parents, et je jette au loin tout ce qui est à ma portée, et je deviens rouge vif...
Le Filou fait de plus en plus de colères. Dix, douze par jour, et plus seulement à l'heure des repas. Sous le moindre prétexte. Parfois, je négocie. Tu ne veux pas t'habiller ? Et si je te laisse choisir son T-shirt ? Et si je te raconte un livre, d'abord ? Et si j'accepte de te laisser pieds nus pour le moment ? Parfois, je n'ai pas le temps, pas l'envie, ou je sais que ça ne servira à rien. Tu ne veux pas t'habiller ? Pas de bol, mon bonhomme, je suis plus forte que toi. Je te coince les jambes et les bras sous mon poids, et je t'enfile ton T-shirt de force malgré tes hurlements à faire pâlir d'envie les sirènes des pompiers.
Ce soir, j'étais fatiguée, et j'avais mal à l'épaule. Pour le repas, j'avais négocié. Pour le livre, j'avais négocié. Pour le deuxième doudou, j'avais cédé. Mais pour le pipi, non. Pas envie de changer les draps cette nuit, ou d'être réveillée à six heures du matin pour cause de vessie trop pleine du gamin qui a refusé de passer sur le pot (ou les toilettes, hein, il avait le choix). J'ai donc eu recours à cette arme minable, antithèse de l'éducation :
— Eh bien puisque c'est comme ça, tu restes dans la salle de bain, et tu ne viendras écouter le livre que quand tu auras au moins essayé de faire pipi !
Il hurle, il hurle, il hurle, et il essaie de tirer la porte, mais je tiens la poignée de l'autre côté. Une minute, pas plus, parce que non seulement je suis mauvaise mère, mais en plus je n'arrive même pas à tenir bon ou à mettre mes menaces à exécution, ce qui aurait au moins le mérite de la logique. Je décide de réessayer les négociations. J'appuie sur la poignée...
... et rien ne se passe.
J'appuie plus fort.
Toujours rien.
Je donne des petits coups dans la porte.
En vain.
Le pêne est bloqué dans la gâche. Et visiblement, la poignée ne l'actionne plus.
Qu'à cela ne tienne, je vais démonter la poignée. Je file chercher un tournevis.
Pendant ce temps, le gamin hurle de rage, encore. Darling essaie lui aussi d'ouvrir cette maudite porte, sans plus de succès que moi. Miss Thing One est dans nos pattes : elle adore les drames. Le Grand demande ce qu'il se passe. Mr Thing Two râle parce que je ne suis pas encore venu lui chanter sa berceuse du soir. Et comme si cela ne suffisait pas, Oma, la mère de Darling de passage à Paris, est plantée au milieu de l'escalier pour surveiller que nous ne torturons pas nos enfants (ce qu'elle nous soupçonne de faire dès qu'elle a le dos tourné).
Je démonte la poignée de mon côté. Comme le Filou tire dessus de l'autre côté, la poignée lui reste dans les mains, à lui aussi. Il hurle de plus belle, de toute sa voix : il n'a pas encore conscience d'être bloqué à l'intérieur, mais je crois qu'il est absolument horrifié à l'idée d'avoir cassé la poignée. Malheureusement, ça n'a servi à rien, car la porte ne s'ouvre toujours pas. J'arrive à convaincre le gamin de reculer, ce qu'il fait tout en pleurant avec autant d'ardeur que jamais, et puis je demande à Darling de défoncer la porte. Ce qu'il s'emploie à faire à coups de pieds, pendant qu'à l'intérieur, les décibels montent encore (ce que je n'aurais pas cru possible), et que de ce côté-ci, Oma s'épouvante, le Grand pose des question stupides (sa spécialité dans les moments de crise), Mr Thing Two s'énerve d'être négligé, et Miss Thing One manque de nous faire tomber à force de tourner autour de nous pour assister au spectacle aux premières loges.
Finalement, une fois le battant brisé, avec des éclats de bois partout sur la moquette et dans l'escalier, j'ai récupéré mon petit bonhomme qui n'en pouvait plus de pleurer. Je crois vraiment qu'il n'a pas compris que nous n'arrivions plus à ouvrir, mais qu'il a été traumatisé de nous voir casser la porte, surtout qu'il avait l'air de penser que c'était sa faute (il a dû croire que c'est parce qu'il avait trop tiré sur la poignée qu'elle lui était restée dans les mains). Miss Thing One aussi était bouleversée, d'ailleurs, et il a fallu lui promettre de racheter une nouvelle porte, ce qu'elle voulait que nous fassions immédiatement, dans la nuit, parce que laisser cette porte dans cet état-là, ça la perturbait beaucoup.
Il nous a encore fallu un certain temps pour ramasser toutes les échardes, et pour calmer tout le monde, et pour coucher enfin les enfants.
Et qu'a dit le Filou, à peine installé dans son lit ?
— A va pipi, moi ! L'est là, pipi !
Et il est ressorti du lit avant de filer tout droit remplir son pot.
D'une certaine manière, on peut donc dire que j'ai gagné, non ?
Eh bé!!!
RépondreSupprimerAlors là, bravo ! Ce qui me fait le plus rire, c'est quand même la présence de la belle-mère dans tout ça...
RépondreSupprimerHaaaaaaaaannnnn !!!! Alors là c'est impressionnant !
RépondreSupprimerBon courage pour gérer les crises (ici Numéro 2 a bientôt 7 ans et continue à nous en faire pas mal, donc j'espère que ton Filou ne suivra pas la même voie). Et bon courage pour réparer les dégâts...
Trop lol ! :-) Ca me rappelle une amie très à cheval sur les principes et sur l'éducation de ses enfants (ils se lavent les dents pendant 3 minutes et pas 1 seconde de moins :-o !). Lors d'un dîner, l'un de ses gamins s'est mis à hurler genre ton Filou : au bord de la crise de nerf, sa mère lui a promis 2 euros pour qu'il arrête immédiatement de pleurer et qu'il termine son jambon. Ca a fonctionné aussi bien que ta porte, c'est à se demander si Françoise Dolto ne s'est pas plantée dans son trip !
RépondreSupprimerAh je sais! c'est une petite camera qu'il faut fournir au Grand, car en même temps qu'il posera des questions inutiles, il pourra filmer l'action parce que je suis sûre que ça vaut son pesant de cacahuètes!
RépondreSupprimerQuel homme ce Darling ....;-)
RépondreSupprimerVous auriez appelé le Filou "Attila", peut-être aurait-il été d'un calme olympien, à cause de l'esprit de contradiction :D
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