mardi 8 septembre 2015

Lire une traduction inachevée

Cette éditrice m'avait déjà fait le coup cet été, vers la mi-août :

"Bonjour Fofo, j'espère que la traduction avance bien, de mon côté je suis en train de lire le texte en anglais mais j'ai du mal, pourriez-vous m'envoyer ce que vos avez déjà traduit, même non relu ? Merci d'avance, Machine"

J'avais été horrifiée, mais heureusement, j'avais une excuse en or :

"Chère Machine, je suis désolée mais je n'ai pas de connexion Internet ici, sauf quand je consulte occasionnellement mes emails via mon téléphone, et je ne peux donc pas vous envoyer de pièce jointe. Mais je vous enverrai la première partie du roman à mon retour fin août, comme convenu. Bien à vous, Fofo."

Elle n'a pas insisté. Et voilà qu'aujourd'hui, elle revient à la charge :

"Chère Fofo, j'ai lu la première partie et j'ai vraiment beaucoup aimé, continuez comme ça en toute confiance ! Par ailleurs, vous avez dû avancer depuis fin août, pourriez-vous m'envoyer les chapitres que vous avez traduits depuis, pour que je donne le plus de matériel possible aux représentants lors de notre réunion demain ? Merci d'avance, Machine."

Alors, oui, oui, oui, mais non.

Chaque traducteur a sa méthode, bien sûr, et un jour, si ça intéresse quelqu'un, je vous détaillerai la mienne. Mais une chose est sûre : même si j'ai traduit 80 pages de plus depuis mon envoi fin août, il est hors de question que je les fasse lire à qui que ce soit. Il reste des dizaines de formules à vérifier, de problème à résoudre, de phrases bancales à retaper, de jeux de mots à réinventer, de choix à faire. Sans compter la correction orthographique, et surtout la relecture générale, celle au cours de laquelle je détecte les incohérences, les derniers anglicismes (si je traduis de l'anglais) (quoique ça peut m'arriver de remplacer un autrelanguisme par un anglicisme), les dialogues maladroits, etc.

Après avoir rédigé un refus poli mais ferme, une comparaison m'est venue à l'esprit : c'est comme si on demandait à une femme qui se prépare à aller à l'opéra et qui a prévu de prendre un bain, s'épiler, se parfumer, enfiler ses collants, enfiler sa robe, choisir des bijoux, se maquiller, se coiffer, etc. – j'oublie sûrement quelque chose – de sortir avec une seule jambe épilée, pas de collants, sa robe encore déboutonnée, des cheveux ébouriffés et du rouge à lèvres sur les joues. "Mais ne vous inquiétez pas, ma chère, j'ai assez d'imagination pour deviner à quel point vous serez élégante quand vous aurez terminé". Oui d'accord mais non merci, hein ?

(Comme j'en entends qui rient dans le fond, j'avoue que si j'allais à l'opéra, j'enfilerais un pantalon et une chemise vaguement chics et je m'abstiendrais de m'épiler, de me maquiller et de me coiffer. D'accord. Mais ce n'est pas le propos !) (Pour paraphraser Cyrano – celui d'Edmond Rostand –, moi, c'est textuellement que j'ai mes élégances...)

5 commentaires:

  1. Ahaha j'aime beaucoup la comparaison!
    La prochaine fois que je viendrai chez toi, je goûterai la pâte à gâteau directement dans le KitchenAid pour me rendre compte de son rendu après cuisson.

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  2. Comme je te comprends ! J'aurais horreur de ça, si on me le demandait.
    En plus, je trouve vraiment le ton du bouquin à la fin du 1er tiers en général, ce qui m'oblige, à la relecture finale, à remanier en grande partie tout le début du texte une fois que le 1er jet de ma traduction est achevé.
    Moi aussi, j'aime bien ta comparaison avec la spectatrice d'opéra !

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  3. Je t'ai connue très chic Fofo, dans un restaurant italien, un soir d'été : robe de cocktail bleue, boucles d'oreilles, un soupçon de maquillage (imposé il est vrai pas un duo de copines opiniâtres), des escarpins presque inconfortables (marque des "vrais" escarpins)....et un pot de chambre portatif en guise de sac à main.
    Impayable !!!

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  4. Je trouve qu'il y a quelque chose de fragilisant dans le fait d'être vu à moitié prêt(e). Par exemple on peut s'assumer en culotte fluo, on peut s'assumer en jupe, mais on ne s'assume pas en collant qui boudine et laisse voir la culotte par transparence.

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