mardi 29 septembre 2015

Une (presque) traductrice qui ne doute de rien

E-mail du jour :

Bonjour Fofo,
Je ne sais pas si tu te souviens de moi, je m'appelle Machine et je t'ai contactée il y a deux ans pour te parler de mon projet de devenir traductrice.
Depuis, mon projet a bien avancé : j'ai fait une formation rapide et je suis sur le point de me lancer en free-lance, en traductrice technique, spécialisée dans les textes juridiques, en rapport avec mon métier précédent.
Mais une amie vient de me proposer de traduire un gros livre de 1500 pages depuis l'allemand. Il s'agit des chroniques écrites par un homme d'état à la fin du XVIIe siècle, à traduire dans le français de l'époque. L'ouvrage sera publié par un éditeur universitaire, et destiné aux bibliothèques et aux chercheurs.
On m'a demandé de réaliser un devis, et je ne sais pas quoi faire. Combien demanderais-tu pour un tel ouvrage ?
Merci d'avance pour ton aide,
Machine

Hein ?
HEIN ?
HEIN ? 

J'ai bien lu ? J'ai bien compris tous les éléments importants ?

Traductrice technique, option juridique ?
Pas encore lancée dans le métier ?
1500 pages ?
Chroniques du XVIIe siècle ?
A traduire dans la langue de l'époque ?
Éditeur universitaire ?
Destiné aux chercheurs ?

Du coup, pendant les premières minutes, je n'ai même pas réagi au fait qu'elle me demandait de lui faire un devis à la louche pour "un livre de 1500 pages" (avec combien de SIGNES par page ? Cinq cent, mille, cinq mille ?) sans aucune précision sur la difficulté du texte. Et pourtant, c'est assez drôle, en soi.

J'ai vraiment vraiment bien compris : cette ancienne assistante d'avocat sans aucune formation d'historienne et n'ayant jamais réalisé la moindre traduction littéraire (ni beaucoup de traductions techniques) veut se lancer dans la traduction d'un énorme ouvrage écrit il y a plus de trois siècles destiné à devenir un ouvrage de référence ?

Je lui a donné la fourchette des tarifs par tranches de 1500 signes depuis l'allemand, en précisant que c'était à adapter en fonction de la difficulté du texte, et puis je lui ai demandé si elle avait fait un essai, si elle avait une idée du nombre de mois qu'il lui faudrait, si elle avait les connaissances et les compétences requises pour ce genre de travail, et si son texte serait relu par un ou plusieurs historiens.

Sa réponse :

Merci beaucoup de ta réponse, ça m'aide énormément.
Bien cordialement,
Machine

Bien. Je prends ça pour un quadruple non.
Bon, eh bien bon courage, alors.

(Quand je pense que je me posais de graves questions déontologiques quand j'ai traduis cet article de quelques pages sur la linguistique – vous savez, la praxis homilétique, et tout ça –, en français actuel, alors que ma traduction allait être relue par l'auteur (francophone) lui-même ET par son traducteur attitré ET par une spécialiste de la question...)

8 commentaires:

  1. tout le monde n'a pas le même professionalisme ni les mêmes scrupules...ou peut-être le même esprit critique et la même remise en question :-)
    il faut voir le côté amusant de la chose: avec des chevilles aussi enflées, elle a réussi à abaisser son centre de gravité et est donc plus stable face aux vents d'éventuelles critiques :-)

    en tout cas, j'aime toujours autant passé ici, vous êtes vraiment mon moment sourire de la journée
    bonne continuation
    Nanou

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  2. On lui souhaite bien du courage ; aux innocents les mains pleines. On enverra une plaquette de Leixomil à son éditeur.
    Au fait, ton mec aux baskets roses qui a réparé ta latte de parquet, il prendrait combien pour construire un ensemble de 139 logements collectifs visant un label BBC Effinergie, avec autant de places de stationnement , respectant une granulométrie de 40% de T1/T2, 30% de T3, 20% de T4 et 10% de T5, et dont un tiers des logements seraient destinés à une VEFA en usufruit temporaire financé en PLS? Tu peux lui demander un devis stp?

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    1. Bien sûr. Puisqu'il sait poser un parquet, pourquoi ne saurait-il pas faire 139 logements collectifs, en effet ?

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  3. J'espère qu'elle sait s'accrocher en allemand!
    Si elle a un bagage juridique, elle a déjà la peau dure vis-à-vis de ce qui est chiant.

    Je me mets à sa place : quand on commence, il faut bien manger, donc on est prêt à s'embarquer dans ce genre de galère. Mon argument est mauvais et ne devrait pas être élargi.

    Je me pose plutôt la question vis-à-vis du commanditaire. Le devis va se compter en milliers d'euros. Quelle institution publique a un budget de plusieurs milliers d'euro, pour un sombre ouvrage de référence jamais traduit? Et pour confier le tout à une débutante?
    1500 pages tout de même.

    En management, une idée veut qu'on ne puisse pas faire et vite, et bien, et pas cher.
    Passé un certain stade, si on veut de la qualité et un résultat rapide, on met plus de personne à la tache, et forcément faut payer des gens en plus.

    C'est peut-être ça le sens ton billet (je mets du temps à comprendre :B ) :
    Même une traductrice aguerries, calé sur les thèmes et la période et doué pour le style, n'y arriverait pas sans beaucoup de temps et des relecteurs. Ce n'est plus l'affaire d'une seule personne.

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    1. Bien sûr, c'est dur de trouver du boulot au début, mais si je disais "Oh tiens je sais vaguement cuisiner, tu veux un repas haut-de-gamme façon traiteur pour 150 personnes pour ton mariage ? Pas de problème, compte sur moi, au pire ce sera complètement bâclé...", tu ne trouverais pas ça très professionnel, pas vrai ?

      Les éditeurs institutionnels peuvent avoir le budget pour ce genre de projet ; il faut dire que ces ouvrages se vendent à peu d'exemplaire, mais très cher. Par contre, je te rejoins sur le fait que confier ce boulot à une débutante (et non spécialisée dans ce domaine) est ahurissant.

      A part ça, il faut toujours des correcteurs ! Dans ce sens, aucune traduction n'est l’œuvre d'une seule personne.

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    2. Même si j'avais une base juridique du tonnerre (ce qui n'est absolument pas le cas), ça me ferait peur de devoir rendre 1500 pages dans un style compris entre Montaigne et Montesquieu.

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  4. Je travaille dans une SSII et régulièrement des commerciaux vendent mes services en assurant au client que je suis spécialiste de logiciels dont j'ai à peine entendu parler. A moi ensuite de me débrouiller pour tenir les promesses de ces gens qui ont vendu la peau de l'ours avec livraison pour la veille de l'ouverture de la chasse...

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    1. Ah ah ! Excellent, la peau de l'ours à livrer avant l'ouverture de la chasse !

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