
(Note : depuis j'ai eu la version française entre les mains, et... il y aurait beaucoup, beaucoup à dire sur la traduction, mais je vais me retenir, même sur ce blog anonyme.) (Disons simplement que tous ceux qui ont trouvé le texte exécrable ne devraient pas hésiter à lui donner une deuxième chance en anglais, s'ils lisent cette langue)
(Autre note : je parle ici des livres, uniquement des livres. Comme je vous l'ai déjà dit plein de fois, je ne regarde pas les adaptations, en général. En plus, j'ai entendu beaucoup de mal des films.)
Or, hier, un ami m'a appris qu'une nouvelle version du premier volume de la série venait de sortir, racontant exactement la même histoire, mais en miroir : tous les hommes deviennent des femmes, toutes les femmes deviennent des hommes, y compris les deux personnages principaux.
Sur le coup, j'ai trouvé ça génial. Une des principales critiques faites à Stephenie Meyer est que son roman est anti-féministe, car son héroïne joue vraiment trop la carte de la "demoiselle en détresse" qui n'arrête pas de se retrouver en danger et de se faire sauver par son chéri. Visiblement elle a décidé de clouer le bec à ses détracteurs en leur prouvant que l'histoire fonctionnait aussi dans l'autre sens.
Curieuse, j'ai acheté le roman aussitôt (toujours en anglais) et je l'ai lu dans la foulée. Bon, j'avoue, je l'ai lu un peu en diagonale, car certains passages sont quasiment les mêmes. Mais j'ai repéré les similarités et les changements, au moins les plus importants.
Et je confirme mon verdict : c'est génial.
Si, génial, je pèse mes mots. Parce que quoi qu'on en dise, et quoi qu'en dise l'auteure, ce n'est pas évident. Les clichés ont la peau dure : un garçon amoureux de sa camarade de classe aura plutôt tendance à rêver que le collège est ravagé par un incendie et qu'il la sauve héroïquement, alors que la fille rêvera plus volontiers d'être elle-même sauvée par un garçon plus puissant qu'elle (plus fort, plus âgé, plus riche, plus sûr de lui...). Forcément : tout, dans la culture, nous pousse dans ce sens. Certes, dans les films et les romans les plus modernes, on essaie d'équilibrer un peu les choses : Loïs Lane sauve parfois Superman, Raiponce a autant de courage que Flynn Rider, Arwen tient tête aux Nazgul aussi bien qu'Aragorn, Katniss se bat avec autant d'énergie que Peeta ou Gale. N'empêche que vous aurez du mal à trouver une situation inverse : une fille forte et ténébreuse amoureuse d'un garçon doux et peureux, une guerrière qui combat un dragon pour libérer un prince enfermé dans sa tour. (Si des exemples vous viennent à l'esprit, ça m'intéresse).
Eh bien là, Stephenie Meyer est allée au bout de son propos. Même pas peur. Beau est un garçon charmant mais ordinaire, et Edythe est une vampire autoritaire qui soulève des camions ou se bat contre d'autres vampires pour le sauver. L'auteure n'a reculé devant rien. Edythe porte même Beau sur son dos pour courir dans la forêt. Et bien sûr, c'est elle qui paie l'addition au restaurant.
Plus génial encore : tout en ne reculant devant rien, l'auteure n'a pas non plus fait un copier-collé. Elle a féminisé tous les personnages masculins et inversement, mais elle a aussi tenu compte des conventions sociales et des différences culturelles (et physiques) entre garçons et filles. Après sa première soirée avec Edward, Bella reçoit un coup de fil de Jessica qui veut tout savoir sur la manière dont leur dîner s'est passé. Jeremy, lui, n'appelle pas Beau pour discuter des sentiments possibles d'Edythe à son égard. Autre exemple : Bella s'énerve (gentiment) contre les garçons qui la draguent à tout bout de champ. Beau fait preuve de plus de tact pour repousser les filles qui lui tournent autour. Certains traits de caractère des deux héros sont également différents. Résultat, ils sont parfaitement crédibles.
Tout ça pour dire que c'est un exercice de style, et uniquement un exercice de style (même si les derniers chapitres sont différents : l'auteure a eu l'amabilité de nous offrir une "vraie" fin, puisqu'il n'y aura pas de volumes suivants). Pour ceux qui connaissent la série par cœur et surtout pour celles qui en pincent pour le mystérieux Edward ou le viril Jacob, cela n'a pas grand intérêt. En revanche, pour ceux qui s'intéressent aux questions de genre, et qui soutiennent que le meilleur moyen de savoir si une publicité ou un film est sexiste, c'est d'inverser le sexe de tous les personnages (ce que je fais à longueur de temps depuis des années : vous imaginez une agente secret en costume en train de sauver la vie à un bel adonis quasiment nu à la cervelle d'oiseau ?) (non, je n'ai toujours pas digéré mon dernier James Bond), c'est une vraie trouvaille. Et même si ça décevra forcément beaucoup de fans qui espéraient un spin-off ou une suite ou un prélude ou autre, personnellement, je dis bravo !