vendredi 9 octobre 2015

Twilight inversé (A la vie, à la mort)


Quand le premier volume de la série Twilight a commencé à avoir du succès, il y a quelques années, une éditrice m'a conseillé de le lire comme je lis tous les best-sellers pour les 12-18 ans, pour savoir ce qui se vend bien, mais aussi pour pouvoir dire dans une fiche de lecture "Un bon roman, mais qui ressemble un peu trop à Hunger Games", par exemple. J'ai donc lu le premier, sans déplaisir : ce n'est pas de la haute littérature, mais j'ai trouvé ça plutôt sympathique. Quelque temps plus tard, j'ai lu les trois volumes suivants, toujours sans déplaisir. Je trouve les personnages attachants (y compris les personnages secondaires), l'histoire romantique à souhait (oui, je suis un peu fleur bleue à mes moments perdus), les rebondissements à peu près plausibles, le thème assez bien exploré. Ah, et puis le style tout à fait correct, en anglais.
(Note : depuis j'ai eu la version française entre les mains, et... il y aurait beaucoup, beaucoup à dire sur la traduction, mais je vais me retenir, même sur ce blog anonyme.) (Disons simplement que tous ceux qui ont trouvé le texte exécrable ne devraient pas hésiter à lui donner une deuxième chance en anglais, s'ils lisent cette langue)
(Autre note : je parle ici des livres, uniquement des livres. Comme je vous l'ai déjà dit plein de fois, je ne regarde pas les adaptations, en général. En plus, j'ai entendu beaucoup de mal des films.)


Or, hier, un ami m'a appris qu'une nouvelle version du premier volume de la série venait de sortir, racontant exactement la même histoire, mais en miroir : tous les hommes deviennent des femmes, toutes les femmes deviennent des hommes, y compris les deux personnages principaux.
Sur le coup, j'ai trouvé ça génial. Une des principales critiques faites à Stephenie Meyer est que son roman est anti-féministe, car son héroïne joue vraiment trop la carte de la "demoiselle en détresse" qui n'arrête pas de se retrouver en danger et de se faire sauver par son chéri. Visiblement elle a décidé de clouer le bec à ses détracteurs en leur prouvant que l'histoire fonctionnait aussi dans l'autre sens.

Curieuse, j'ai acheté le roman aussitôt (toujours en anglais) et je l'ai lu dans la foulée. Bon, j'avoue, je l'ai lu un peu en diagonale, car certains passages sont quasiment les mêmes. Mais j'ai repéré les similarités et les changements, au moins les plus importants.
Et je confirme mon verdict : c'est génial.

Si, génial, je pèse mes mots. Parce que quoi qu'on en dise, et quoi qu'en dise l'auteure, ce n'est pas évident. Les clichés ont la peau dure : un garçon amoureux de sa camarade de classe aura plutôt tendance à rêver que le collège est ravagé par un incendie et qu'il la sauve héroïquement, alors que la fille rêvera plus volontiers d'être elle-même sauvée par un garçon plus puissant qu'elle (plus fort, plus âgé, plus riche, plus sûr de lui...). Forcément : tout, dans la culture, nous pousse dans ce sens. Certes, dans les films et les romans les plus modernes, on essaie d'équilibrer un peu les choses : Loïs Lane sauve parfois Superman, Raiponce a autant de courage que Flynn Rider, Arwen tient tête aux Nazgul aussi bien qu'Aragorn, Katniss se bat avec autant d'énergie que Peeta ou Gale. N'empêche que vous aurez du mal à trouver une situation inverse : une fille forte et ténébreuse amoureuse d'un garçon doux et peureux, une guerrière qui combat un dragon pour libérer un prince enfermé dans sa tour. (Si des exemples vous viennent à l'esprit, ça m'intéresse).

Eh bien là, Stephenie Meyer est allée au bout de son propos. Même pas peur. Beau est un garçon charmant mais ordinaire, et Edythe est une vampire autoritaire qui soulève des camions ou se bat contre d'autres vampires pour le sauver. L'auteure n'a reculé devant rien. Edythe porte même Beau sur son dos pour courir dans la forêt. Et bien sûr, c'est elle qui paie l'addition au restaurant.
Plus génial encore : tout en ne reculant devant rien, l'auteure n'a pas non plus fait un copier-collé. Elle a féminisé tous les personnages masculins et inversement, mais elle a aussi tenu compte des conventions sociales et des différences culturelles (et physiques) entre garçons et filles. Après sa première soirée avec Edward, Bella reçoit un coup de fil de Jessica qui veut tout savoir sur la manière dont leur dîner s'est passé. Jeremy, lui, n'appelle pas Beau pour discuter des sentiments possibles d'Edythe à son égard. Autre exemple : Bella s'énerve (gentiment) contre les garçons qui la draguent à tout bout de champ. Beau fait preuve de plus de tact pour repousser les filles qui lui tournent autour. Certains traits de caractère des deux héros sont également différents. Résultat, ils sont parfaitement crédibles.

Tout ça pour dire que c'est un exercice de style, et uniquement un exercice de style (même si les derniers chapitres sont différents : l'auteure a eu l'amabilité de nous offrir une "vraie" fin, puisqu'il n'y aura pas de volumes suivants). Pour ceux qui connaissent la série par cœur et surtout pour celles qui en pincent pour le mystérieux Edward ou le viril Jacob, cela n'a pas grand intérêt. En revanche, pour ceux qui s'intéressent aux questions de genre, et qui soutiennent que le meilleur moyen de savoir si une publicité ou un film est sexiste, c'est d'inverser le sexe de tous les personnages (ce que je fais à longueur de temps depuis des années : vous imaginez une agente secret en costume en train de sauver la vie à un bel adonis quasiment nu à la cervelle d'oiseau ?) (non, je n'ai toujours pas digéré mon dernier James Bond), c'est une vraie trouvaille. Et même si ça décevra forcément beaucoup de fans qui espéraient un spin-off ou une suite ou un prélude ou autre, personnellement, je dis bravo !

12 commentaires:

  1. Argh, la traduction de Twilight... Tu as raison, n'en parlons pas.
    Et sinon, si elle a changé des trucs, c'est bien qu'il y avait des clichés, non ?
    Ja-mais ça ne me serait venu à l'idée d'appeler mes copines pour leur demander de me raconter leurs séances de frotti-frotta avec Machintruc, ou inversement.

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    1. Bien sûr qu'il y avait des clichés. Il y en a tout autour de nous, non ? Si elle nous avait raconté une histoire où seules les filles s'intéressent à la mécanique et au football, et où les garçons discutent pendant des heures de la manière exacte dont telle fille a prononcé telle phrase qui sous-entend certainement tel sentiment, on aurait eu du mal à croire qu'il s'agissait du monde "réel". Beau cuisine comme le faisait Bella, Carine est chirurgienne comme Carlisle était chirurgien (mais pas depuis trois siècles, forcément), Eleanor aime autant se battre qu'Emmet... mais si Jeremy avait prononcé exactement les mêmes phrases que Jessica, cela n'aurait pas été crédible, tout simplement. Ou bien es-tu en train de dire que les filles comme Jessica n'existent pas ?

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    2. Euh, je me souviens pas de Jessica. Mea culpa.
      Niveau crédibilité, euh... Edward, vampire d'un siècle tout doux-gentil-joli (pas ténébreux pour un sou, je trouve) qui n'a jamais couché avec une fille, euh, comment dire, ce n'était pas cliché du tout, en revanche. Ni crédible.
      Mais il me semble que ce qu'on reproche à la série, ce n'est pas d'être plus cliché qu'une autre (on reproche plus souvent aux vampires d'être mièvres) (Et puis d'abord, c'est Bella qui ne veut pas se marier.) C'est surtout que les filles s'insurgent qu'on évoque l'idée que Bella puisse avorter (il n'y aurait que sa vie en jeu, après tout) et tiennent à appeler le fœtus "bébé" ?
      Comme fille forte, rebelle et sûre d'elle avec un mec mollasson tête à claques à la Bella, tu as Rebecca et Brian dans Starter for Ten, que je viens de finir. C'est pour adultes, mais les personnage sont en 1re année de fac.
      Héroïne badass et héros peureux : Let the Sky Fall de Shannon Messenger... Je réfléchis pour en trouver d'autres, mais c'est vrai qu'on a souvent une combinaison fille forte (voire tellement forte qu'elle arrive à tout gérer en talons aiguilles)-mec super-fort (mais quand même tendre).

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    3. Jessica est "l'amie" pas très sympathique de Bella. Personnage sans importance.
      Edward, issu d'une famille pieuse, vierge à 17 ans en 1918, pas crédible ? Tu trouves ? Il me semble que même aujourd'hui, des garçons vierges à 17 ans, ça doit encore se trouver, non ?

      Je n'ai volontairement pas évoqué la deuxième critique qu'on fait à la série (parce que ça n'avait rien à voir avec mon propos) : les opinions religieuses de son auteure... Moi, très athée et très féministe, ça ne m'a pas choqué. Le mariage, c'est Edward qui y tient, Bella s'en passerait très volontiers. La mère de Bella est divorcée et vit très heureuse avec un autre homme. Quant à la question de l'avortement, personne n'utilise une seule seconde un argument religieux pour s'y opposer. Au contraire, ils y sont tous favorables, sauf Bella, parce qu'elle désire cet enfant et qu'elle est convaincue de survivre à l'accouchement. Les autres appellent le foetus "ce truc" ou "ce monstre", seule elle l'appelle "bébé". Elle se rend compte qu'elle est enceinte alors qu'elle sent déjà des mouvements et qu'elle a déjà un petit ventre : l'équivalent de trois mois au moins. On peut faire une fausse couche à deux mois et dire qu'on a perdu son bébé. Ce n'est pas une appellation médicale, ça fait uniquement appel au ressenti.

      Bref, l'auteure est peut-être contre le sexe avant le mariage et contre l'avortement, mais je ne trouve pas qu'elle ait fait du prosélytisme dans ces romans, et pour moi, c'est tout ce qui compte.

      (Fille guerrière et héros doux et pas combattant pour un sou : maintenant que j'y pense, on a aussi les romans de Licia Troisi, les trilogies du Monde Emergé etc. Sauf que les garçons finissent généralement par se découvrir d'immenses pouvoirs magiques, pour rétablir l'équilibre.)

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    4. Après, je ne voulais pas faire l'éloge de Twilight sur ce blog, hein. C'est cette version "revisitée" qui m'a vraiment paru digne d'être mentionnée !

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    5. Mais tu es en droit de faire l'éloge de ce que tu veux sur ton blog, enfin presque :)

      Je ne reproche pas au personnage d'Edward d'avoir été vierge à 17 ans, pauvre garçon ! Je lui reproche d'avoir 100 ans et de n'avoir rien vécu. Anne Rice n'a quand même pas tort, que font ces vampires dans un lycée ?
      Et appeler bébé un bébé qu'on veut garder, quel que soit son stade de développement, bien sûr que ça n'a rien d'extraordinaire ni de condamnable, tout le monde le fait, d'ailleurs. Mais comme je n'avais pas spécialement retenu l'aspect demoiselle en détresse que tu évoques, je croyais que les critiques sur l'antiféminisme se situaient à ce niveau. Mais sur un point comme l'autre, je crois que si l'auteure n'avait pas été mormonne, il n'y aurait pas autant de monde qui serait allé lui chercher des poux dans la tête.

      Pour en revenir aux clichés, il n'est pas question de systématiquement prendre le contrepied pour écrire un bon roman. On peut très bien avoir des personnages de filles bavardes et des garçons taciturnes, ou de pom-pom girls perfides et de pères protecteurs, etc. à l'infini, rien de choquant là-dedans. C'est juste le principe de dire "je vais tout faire à l'envers, vous allez voir, c'est exactement la même chose" pour en fait, modifier pour que ça fasse plus fille ou plus garçon. En fait, ça me fait bien plus tiquer que la série d'origine, qui encore une fois, ne m'avait pas semblé plus énervante qu'une autre à ce niveau-là. (J'avais suffisamment de reproches à lui faire par ailleurs.)

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    6. Tu penses donc qu'elle aurait dû laisser Beau, Jeremy et Allen (les équivalents masculins de Bella, Jessica et Angela) aller faire du shopping ensemble et discuter sur laquelle de ces tenues aurait le plus de chance de faire craquer la fille avec laquelle ils allaient au bal la semaine suivante ? Puis envoyer Beau se promener dans les rues de la ville et tomber sur un groupe de femmes qui veulent le violer ?

      Soyons clair, je ne suis jamais allée faire du shopping avec un groupe de copines pour choisir la meilleure robe pour faire craquer un garçon... Mais il me semble qu'il y a des filles qui le font, alors que des groupes de garçons qui gloussent en comparant leurs tops et en se demandant s'ils ne sont pas trop décolletées et si on ne risque pas de les prendre pour des garçons faciles, je pense qu'il n'y en a pas beaucoup.
      Donc oui, je pense que Stephenie Meyer a eu raison de changer certaines choses. Jeremy interroge bel et bien Beau sur sa relation avec Edythe, comme Jessica avec Bella. Mais il ne saute pas sur son téléphone à la seconde où son copain rentre à la maison. Je pense réellement que peu de garçons feraient ça, surtout avec un vague copain assez récent.

      Quant à Edward, il ne pensait pas pouvoir coucher avec une humaine (sans la manger, je veux dire), et il n'y avait pas beaucoup de vampiresses sympathiques dans les environs... Mais je t'accorde que c'est une explication assez faible. On sent que l'auteure a voulu se faire plaisir en mettant les deux héros au même niveau (zéro) des relations amoureuses.

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    7. Justement, je trouve qu'elle remet elle-même en cause son postulat de base. D'autres changements d'après un article : http://www.thedailybeast.com/articles/2015/10/07/stephanie-meyer-s-twilight-life-and-death-doesn-t-break-gender-stereotypes-it-reinforces-them.html
      Bon, cela dit, ça marche quand même : apparemment, des lectrices sont choquées de lire que Beau se jette sur une couverture à un endroit ensoleillé du jardin, parce que c'est pas masculin du tout (?)

      Et sinon, je connais des mecs* qui font du shopping**. En groupe, je ne sais pas, mais entre frères, par exemple. Sans glousser ni avoir peur d'être pris pour des garçons faciles, probablement.
      *hétérosexuels (je me sens obligée de préciser après coup)
      **volontairement, parce qu'ils aiment être bien habillés (idem)

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    8. Des hommes qui aiment être élégants et faire du shopping, j'en connais au moins un : je vis avec... Mais en groupe, entre copains, je n'en connais aucun.

      L'article cité en lien me paraît d'une mauvaise foi assez ahurissante : quand c'était Bella et Edward, c'était un stéréotype parce qu'elle était fragile et qu'il devait sans cesse la sauver, et quand c'est Beau et Edythe, c'est un stéréotype parce que ça veut dire qu'une fille doit être exceptionnelle pour retenir l'attention d'un garçon ? On suggère à Stephenie Meyer de nous réécrire l'histoire entre deux garçons ou deux filles homosexuel(le)s, alors ? Quoique quelqu'un trouvera sûrement que c'est plein de stéréotypes qui prouvent qu'elle est homophobe...

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    9. Oui, j'ai trouvé la conclusion complètement à côté de la plaque et l'ensemble de parti pris. Je le donnais simplement pour les autres exemples de changements qu'il cite, sachant que je n'ai pas lu le bouquin.
      Bref, je ne souhaitais pas doucher ton enthousiasme, simplement exprimer ma déception (mais contrairement à mes attentes pour la série d'origines, celles que je peux nourrir pour cette transposition sont très basses, donc je ne peux qu'être agréablement surprise si je décide de la lire).

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  2. Ficelle for Ever11 octobre 2015 à 17:58

    J'ai tenté de lire un Jane Austen "genderswitched", mais ça ne m'a pas convaincue.
    Et puis je n'ai vraiment pas aimé Twilight, au-delà des clichés et de la traduction pompeuse, j'ai trouvé ça très cucul.

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  3. Dans le dessin animé Les Mondes de Ralph, tu as deux personnages secondaires qui s'inscrivent dans cette dynamique : une guerrière hyper sexy et hyper forte et un mec tout à fait ordinaire et un peu peureux, qui finissent par se marier à la fin !

    Sinon je ne m'essaierai pas à cette lecture ; j'ai lu seulement le tome 1 de la saga (en anglais) et j'ai été atterrée par les incohérences et les clichés enfilés comme des perles...

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