Je m'étais tellement régalée avec
Les petites reines que quand j'ai vu ce nouveau roman de la même auteure, et que j'ai repéré ici et là de très bonnes critiques, je me suis lancée.
Songe à la douceur, de Clémentine Beauvais, éditions Sarbacane, acheté de mes propres deniers dans une vraie librairie de quartier et lu sans être payée pour le faire.

Et donc, ça raconte quoi,
Songe à la douceur ? Eh bien, tout d'abord, c'est un
roman en vers. En vers libres, pas toujours rimés, de longueurs différentes, mais en vers tout de même. Et c'est inspiré d'un autre roman en vers,
Eugène Onéguine, de Pouchkine, 1831.
Ah oui, tout de suite, ça refroidit, hein ?
Et encore, attendez, je ne vous ai pas encore raconté l'histoire – parce que je parie que la plupart d'entre vous n'ont pas la moindre idée de ce que raconte Eugène Onéguine, pas vrai ? (Je vous rassure, moi non plus, avant). C'est l'histoire d'un garçon qui s'ennuie dans la vie, et dont l'ami est fou amoureux d'une voisine ; il rencontre ainsi la sœur de ladite voisine, qui tombe aussitôt amoureuse de lui, mais ça ne l'intéresse guère. Quand ils se revoient quelques années plus tard, ça l'intéresse beaucoup plus, mais peut-être est-ce trop tard... L'intrigue est presque la même, mais
Songe à la douceur se passe de nos jours, à Paris.
Présentée comme ça, l'histoire n'a pas l'air follement originale, je le sais bien. Cela dit, elle n'a pas grande importance : ce qu'il faut savoir, c'est que ce bouquin est
génial. (J'aurais peut-être dû commencer par là). Mais vraiment génial. Pour plein de raisons, mais voici à mon sens les deux principales :
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La description des sentiments et des mille nuances de l'amour est extrêmement réussie. Franchement, c'est le genre de roman tout aussi instructif (mais mille fois plus distrayant) qu'un essai sociologique. L'amour adolescent de Tatiana pour Eugène, la passion naïve du copain d'Eugène pour la sœur de Tatiana, les stratégies utilisées quand on se tourne autour sans vouloir trop le montrer, la jalousie, la vie maritale, le désir, tout est abordé, et tout sonne si juste, jusqu'aux moindres détails, jusqu'au temps d'attente qu'on s'impose avant de répondre à un SMS... C'est bien vu, c'est très bien vu, c'est caustique, c'est drôle, c'est émouvant, c'est vrai.
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Le style est encore une fois formidable. Je ne compte plus les fois où j'ai ri, ou celles où je me suis émerveillée. Un exemple ?
Eugène oscille sur la piste, un daiquiri à la main,
pas le roi du moonwalk, pas maladroit non plus ;
le mec qui danse
comme il ferait à une vieille tante un résumé de ses vacances :
efficace mais sans passion.
Ou bien, quand Tatiana, 14 ans, grande sentimentale, s'habitue à l'absence d'Eugène et n'est pas complètement certaine qu'il ait vraiment existé :
Ce doute n'est pas très important.
Elle l'aime encore,
Évidemment,
Mais les amours de Tatiana se sont toujours très bien accommodées d'une incertitude fondamentale sur l'existence de leur objet.
Et les mille et une inventions langagières : les lunettes qui "désencotonnent" notre univers, le soleil "lamellé" par les persiennes, l'âme "désarmurée" d'un personnage qui ne s'est pas assez cuirassé contre le monde... Un délice.
Bref, c'est une excellente lecture, presque plus destinée aux adultes qu'aux adolescents, mais d'abord beaucoup plus facile qu'il n'y paraît, je vous assure. Et vous pouvez me croire, cette auteure, je n'oublierai pas de surveiller sa production...
PS : Le dernier éclat de rire en lisant les remerciements :
Et par-dessus tout, merci, merci, merci Tibo le téméraire,
editor extraordinaire
(...)
Tibo qui ne tremble pas (enfin, à peine)
quand on lui dit j'ai une super idée
je vais adapter Eugène Onéguine
ah, très très bonne idée Clémentine
c'est tellement vendeur nickel vas-y