mercredi 3 décembre 2014

Le vélo, le chauffard, le loisir et le Bon Coin

Sur le site Le Bon Coin, les caravanes et les bateaux sont rangés dans la catégorie "véhicules", comme les voitures et les motos, mais les vélos sont rangés dans la catégorie "loisirs".

Ce qui me rappelle qu'il y a deux ou trois semaines, un dimanche soir, avec mon triporteur vide, dans une toute petite rue en zone 30 semi-piétonne, je me suis fait klaxonner par un goujat qui estimait que j'aurais dû m'arrêter et grimper sur le trottoir pour le laisser passer, puisqu'il n'avait pas la place de me doubler. Ce que j'ai fait, d'ailleurs, parce que c'est horrible d'être talonnée par une tonne de métal dirigée par un type énervé, potentiellement aussi meurtrière que n'importe quel flingue. Quand il est passé devant moi, cependant, je l'ai copieusement injurié – autrement dit, je lui ai lancé un "Non mais ça va pas ?" du plus bel effet (admirez mon courage et mon vocabulaire). Sur quoi il a pilé net et m'a hurlé par la portière : "Ta gueule, espèce de salope, va te promener à la campagne, je n'ai pas le temps de me traîner derrière une connasse qui fait du vélo !"
Après quoi, il a redémarré et a filé à toute allure, pour aller rejoindre les grands boulevards à cent mètres de là, probablement très fier d'avoir gagné au moins cinq secondes.

Alors, bien entendu, on pourrait épiloguer sur la violence du langage utilisé ; ou sur l'ironie qui consiste à s'arrêter pour expliquer qu'on est pressé ; ou sur la stratégie qui consiste à remprunter une zone 30 pour aller plus vite que sur les grands axes (assez peu embouteillés le dimanche soir, mais comprenant quelques feux rouges). Mais laissons cela pour un autre jour. Car en fait, ce qui m'a le plus frappé, une fois mon rythme cardiaque (fortement ébranlé, d'abord par le coup de klaxon inattendu, ensuite par les insultes) redevenu normal, c'est cette idée selon laquelle je me promenais. Pour ce charmant monsieur, je "faisais du vélo". Un dimanche soir, en pleine nuit, sous une petite bruine glaciale, dans une banlieue sans intérêt, seule sur un triporteur de 56 kilos, je n'allais pas quelque part dans un but précis, non : je flânais, très certainement. Parce que le vélo, aux yeux de bien des gens, c'est un loisir, pas un moyen de transport, et encore moins un véhicule permettant d'aller chercher un meuble à huit kilomètres de chez soi. Juste un loisir – ce que confirme Le Bon Coin.
Tous les cyclistes à qui des chauffards ont déjà lancé "dégage, moi je travaille" alors qu'ils roulaient en ville un jour de semaine à 9h du matin avec attaché-case sur le porte-bagage apprécieront.

21 commentaires:

  1. Moi, c'est la violence qui me révolte et m'aurait laissée tremblante. Comment peut-on ?

    RépondreSupprimer
  2. On peut très facilement. Me faire traiter de "connasse" "salope" et "je vais te buter constitue mon ordinaire et c'est l'un des nombreux avantages à être fonctionnaire.
    Fofo, je crois que ton malotru était hier soir dans le metro. Lignes bondées et prises d'assaut. Je pense le reconnaître car en étant ultra pressé (moi aussi, le centre aéré fermant à 17h45 je voulais récupérer une gamine ailleurs que sur le trottoir) il force l'ouverture des portes du métro, bloquant ainsi la rame et empêchant l'engin de repartir. Mais alors il bloque bien les portes, plutôt que d'attendre la prochaine rame dans 2mn, pensant que peut-être un deuxième étage pousserait du toit? Du coup la rame s'arrête, se relance, et on perd 5 mn à cause d'un abruti qui croyait en gagner une.
    Mais s'il n'y en avait qu'un...

    RépondreSupprimer
  3. Moi je vous dis, il faut les mettre sur des vélos, tous ces gens-là. D'abord parce qu'ils auront nettement moins d'occasion d'embêter le monde, et ensuite parce que quand ils seront bien fatigués, ils s'énerveront moins...

    Ariane, j'avoue que j'ai mis un peu de temps à cesser de trembler, au moins autant à cause des insultes que du coup de klaxon (on ne dira jamais aux automobilistes que faire sursauter un cycliste, c'est l'exposer à tomber et donc à se faire écraser...)

    RépondreSupprimer
  4. Si c'est un connard avec un volant, ce sera un connard avec un guidon qui va s'en prendre aux piétons...c'est mieux qu'il reste chez lui.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je savais que quelqu'un allait me répondre ça. MAIS on est moins dangereux quand on conduit 20 kg de métal qu'une tonne ! Ne me sors pas quelque chose comme "oui mais il y a cinq ans, j'ai connu une vieille dame qui a eu le col du fémur cassé à cause d'un cycliste". Sois de bonne foi, et reconnais que le nombre de piétons tués par des connards à vélo n'est comparable ni de près ni de loin au nombre de piétons tués par des connards en voiture !

      (Cela dit, je suis entièrement favorable à ce qu'il reste chez lui...)

      Supprimer
    2. Je ne comptabilise pas le nombre de tués par une voie ou une autre, la violence ce n'est pas que le nombre de morts!
      Je souligne l'incivilité et l'injure faciles, qui me paraissent de plus en plus répandus? Revenons sur la scène. Finalement tu ne t'es pas fait écraser, ce qui est plutôt une bonne chose. Mais tu restes choquée. Pourquoi? Sans vouloir faire de la psy de supermarché, je pense que ce n'est pas le danger physique véritable qui t’a perturbée : si une voiture (ou un bus, le klaxon d'un bus me fera mourir d'une crise cardiaque un jour) t’avait fait peur, et que le conducteur te dise « oops désolé j’ai confondu le klaxon avec l’essuie-glace, je suis un peu blond», ton stress se serait calmé de lui même. Ce qui te choque, c’est son attitude intolérable menaçante avec sa voiture, puis ses insultes. S’il t’avait doublée à la caisse du supermarché, et que tu lui dises « heu, j’étais là avant vous, monsieur », et qu’il te crie « ta gueule connasse, je vais pas me faire chier derrière une salope qui a rien d’autre à foutre de la journée que de venir m’emmerder, va te faire empapaouter pétasse», je pense que ton choc aurait été le même. Tu te répètes ensuite "mais pourquoi est-il si méchant? Je ne comprends pas." Cette violence que tu reçois en pleine poire n'arrive pas à s'évacuer par les voies normales si je puis dire.

      Par ailleurs, je voudrais vraiment qu’on fasse respecter l’interdiction des klaxons, mais je sais que je rêve.

      Supprimer
    3. Bien sûr, tu as raison. En effet, s'il s'était excusé ("je suis un peu blond", bon sang que j'ai ri !), je m'en serais remise bien plus vite. MAIS si vraiment il faut choisir, je préfère que mon gamin traverse la rue sans faire attention devant un imbécile à vélo qui va lui hurler des injures plutôt que devant un imbécile en voiture qui roulait trop vite et qui dira sur son cercueil "Oups, excusez-moi, je ne l'ai pas fait exprès". Tout comme, à choisir, je préfèrerais que ton imbécile du supermarché soit armé d'un caddy plutôt que d'une carabine.

      Par ailleurs, j'en ai justement parlé ce matin avec mon père adoptif, à la fois cycliste et automobiliste régulier, et il m'a confirmé qu'il se fait beaucoup plus souvent injurier par des automobilistes que par des cyclistes ou des piétons, même quand il est en voiture lui-même. Pour ceux dont le métier n'est pas de refuser à des gens de leur trouver un appart 5 pièce à 20 euros de loyer par an ;-), il est tout de même assez rare de se faire insulter par des inconnus, SAUF des inconnus au volant d'une bagnole. Peut-être parce que le manque de contact physique et de regards directs supprime toute inhibition. Ou parce que la conduite d'une voiture rend très nerveux. Les deux, je pense.

      Supprimer
    4. Manque de contact physique : faut se méfier car je suis très capable d'aller taper le gars dans sa voiture.
      La conduite d'une voiture rend très nerveux : oui, car justement ce n'est pas anodin en cas d'accident. Mais être vigilant car responsable, et se comporter comme un goujat qui pense que la terre entière doit s'effacer devant son véhicule, c'est différent.
      Je pense que c'est une question de lâcheté : derrière ton volant tu peux insulter des gens et te sauver vite fait (sauf embouteillage!), tandis que piéton, on peut te lancer une brique si tu ne cours pas le 100m en moins de 10s.

      Supprimer
  5. Et que dire d'une femme qui travaille dans une ville de bord de mer et qui va faire ses courses en vélo ? Comme tu es dans une station balnéaire tu n'es forcément qu'une "connasse en vacances" pendant que les mêmes énervés que le tien "bossent, eux !"
    Grrr !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et si en plus, tu as des horaires atypiques (par exemple - au hasard - si tu es une traductrice qui travaille 50 heures par semaine, y compris en soirée et le weekend, mais avec des pauses dans la journée) et que tu circules n'importe quand entre 9h30 et 16h30, n'en parlons pas...

      Supprimer
  6. Tu es bien capable de le recroiser, le zigoto. (quelle verve!)
    Avec l'âme d'un Cyrano, tu auras peut-être le dernier mot la prochaine fois.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois qu'on ne se refait pas, surtout en état de choc ; je crois que la grossièreté ultime de Fofo sera : "espèce d'imbécile, sapristi!"

      Supprimer
  7. Je vois très bien de quoi tu parles. Il m'est arrivé la même mésaventure. Un rond point en vélo suivi d'un peu trop près par une voiture qui me dépasse en klaxonnant : même réaction que la tienne de ma part : ça va pas non ?. Le type est descendu de sa bagnole (pour me casser la figure ?) m'a copieusement insultée. Je l'ai contourné en l'ignorant superbement mais avec les jambes en coton et en serrant les fesses car je traversais ensuite un pont étroit avec ce charmant personnage derrière ma roue. gggrrrrr ! Heureusement, ici, à la campagne, la majorité des automobilistes sont respectueux des cyclistes mais j'évite de plus en plus les routes (où la vitesse des automobilistes me fait ressembler à une tortue avec la tête qui rentre sous sa carapace, sauf que je n'ai pas de carapace... ) pour profiter des pistes cyclables (quand il y en a... ).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai, il y a aussi ça, la peur que ce chauffard qui a failli vous écraser et qui vous insulte en prime veuille AUSSI vous casser la figure pour vous prouver que le vélo c'est dangereux... Surtout si le chauffard est un homme (j'ai connu quelques rares chauffardes dans ma vie de cycliste, mais pas une seule d'entre elles ne m'a injuriée, jamais) et que la cycliste est une femme. Tu imagines bien que ça m'a traversé l'esprit aussi, de nuit, dans cette rue déserte...

      Supprimer
    2. C'est clair. Sans vouloir ajouter de la parano, je voudrais que tu prennes avec toi au moins un sifflet et une bombe lacrymo, on en a déjà parlé au sujet du jogging.

      Supprimer
    3. "C'est moi qui vous traitez de connasse ? Mais, mais, mais, vous n'allez pas me frapper, quand même ? Attendez, bougez pas. J'ôte mes gants... mon porte-bagage... J'enlève le tendeur... J'ouvre mon sac... Je sors le porte-monnaie, le téléphone, le kindle, le slip de secours pour le Filou, les biscuits de secours pour Darling, les mouchoirs, et... Ah, la voilà ! Ma bombe lacrymo ! On fait moins le malin, hein, maintenant ?"

      Je vais plutôt continuer le judo, je crois.

      Supprimer
    4. "Et puis mettez-vous bien face au vent, que je vous asperge comme il faut".
      Je vais demander à Bakfiest de fixer au caisson un petit tiroir de secours/première nécessité : juste de quoi mettre une petite trousse à bobos et une matraque ergonomique.

      Supprimer
  8. Le sifflet, ça ne me paraît pas une mauvaise idée, tu peux le porter autour du cou pendant ton jogging ou quand tu "flânes" en vélo. L'effet est assez dissuasif, parait-il.

    RépondreSupprimer
  9. A mon avis, il a dit "J'ai pas l'temps..."
    Ce genre d'individu te met en danger même aussi quand tu es en voiture, injures et klaxon compris. J'aurais un florilège d'incivilités à raconter, toutes plus incroyables les unes que les autres. Le pire c'est qu'on ne trouve la réplique et la vengeance (bien saignante) que lorsque le type est déjà bien loin...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, j'avoue, la double négation est une licence poétique...

      Oui, c'est toujours quelques minutes plus tard qu'on se dit "Ah tiens, j'aurais dû lui faire remarquer que...".

      Supprimer
  10. Il y a aussi les alarmes qui se déclenchent quand on tire sur un piston.

    "Vous savez qui je suis? Non, et bien je suis sûre qu'au commissariat ils savent qui vous êtes, Mr AB-123-CD. Vous voulez que je fasse écrire vos insultes sur la main courante, c'est ça que vous voulez? Il y en a un juste en face (bluff) vous voulez qu'on y aille ensemble?" (Tu peux même mentir en disant que tu es gendarme ou que ton frère ta soeur ou un ami est gendarme, car tu pourrais l'être et ça te donnera de l'aplomb dans ton bon droit.)

    Et si tu le vois se dégonfler, dire poussivement "ah ouais bon", là tu viens de prendre l'ascendant.
    Tu peux commencer ta vraie charge : à défaut d'insulte, tu peux commencer à lui raconter ta vie (facilité pour l'inspiration) -c'est l'avantage des questions rhétoriques précédentes, et des répétitions, que de te donner le temps de reprendre de l'aplomb et de sentir la phrase suivante venir toute seule- "Je travaille Monsieur, j'ai 4 enfants et je travaille aussi, et j'aimerais pouvoir circuler dans les rues petites rues piétonne sans être embêter par des zygotos de votre espèce. C'est limité à 30 ici, et je vais déjà à 30. Vous faites quoi si un enfant déboule d'entre deux voitures? Vous avez des enfants? Vous avez une mère, vous avez des soeurs, vous aimeriez qu'on leur parle comme ça dans la rue? Vous êtes assis confortablement dans un fauteuil et un habitacle chauffé, sincèrement ce ne sont pas 6 secondes qui vont vous tuer. Pourquoi vous n'êtes pas sur le grand boulevard si vous voulez assez si vite. D'autre cyclistes ou voitures vous ont peut-être énervé mais vous exercez votre colère sur la mauvaise personne, je ne vous ai rien fait. (etc.)

    Le truc intéressant du sifflet, c'est d'utiliser la peur du gendarme.

    RépondreSupprimer