mardi 5 janvier 2016

Adieux à un enfant qui ne naîtra pas

Il y a six mois, la gynéco m'a annoncé que je n'aurais très probablement plus d'enfant.

Oui, nous y pensions, et oui, je suis sérieuse. Je vous ai raconté que quand j'étais ado, j'aurais voulu avoir douze enfants, comme dans Treize à la douzaine. Plus tard, j'ai bien plus raisonnablement baissé mon ambition à six, et après les Things et le Filou, j'ai petit à petit admis que cinq suffiraient peut-être. Mais je le voulais, ce cinquième. J'ai gardé tous les vêtements de bébé, les jouets, les livres, le matériel de puériculture. Nous avons emménagé dans une maison avec une chambre de plus, actuellement salle de jeux. C'est aussi rentré en ligne de compte dans le choix que j'ai fait d'un triporteur plutôt qu'un biporteur à seulement trois places. Je me suis posé la question de savoir si je m'inscrirais dans la même maternité, où il y a déjà un dossier sur moi épais comme un dictionnaire, ou dans une autre plus proche. Nous nous sommes déjà disputé plusieurs fois au sujet du prénom. Et je lui ai choisi un surnom pour ce blog.

Mais voilà, le petit cinquième ne verra pas le jour. J'ai eu du temps pour me préparer à cette idée, car j'ai commencé il y a un an à avoir des problèmes de santé qui ont conduit à plusieurs examens et traitements qui ont à leur tour conduit à cette conclusion. Quand la gynéco me l'a dit en juin dernier, donc, je ne suis pas tombée des nues. Et je me suis dit qu'en fin de compte, c'était aussi une chance. De le savoir, surtout. Je l'ai d'ailleurs chaudement remerciée :
— Vraiment, c'était bien que nous fassions ces examens, au moins je vais pouvoir passer à autre chose. Rendez-vous compte, entre les grossesses, les moments où j'attendais d'être enceinte, et les accidents de parcours, ça fait quatorze ans que je baigne là-dedans ! Je vais enfin pouvoir passer à autre chose. Je vais pouvoir faire des projets ! Pour la première fois, je vais pouvoir dire des choses du genre "L'été prochain, nous irons camper" ou "L'hiver prochain, nous irons au ski", ou prendre des engagements professionnels à long terme, sans ajouter à chaque fois à voix haute ou mentalement "... sauf si je suis enceinte" ! Je vais pouvoir me débarrasser une bonne fois pour tout des caisses de vêtements trop petits, je vais pouvoir me projeter dans l'avenir. Et ça, c'est chouette. Pour la première fois, je vais pouvoir me représenter notre famille dans cinq ou dix ans. Je vais pouvoir penser un peu à moi, aussi. Vous vous rendez compte, je n'aurai plus jamais de petit crampon de moins de trois ans à la maison ! Fini, les nuits blanches à répétition ! Fini, les couches ! Dans seulement trois ans, je pourrai m'absenter le soir, même si Darling n'est pas là ! Et je vais avoir plus de temps libre, et je ne risquerai plus de voir s'installer le diabète gestationnel, et je vais pouvoir réfléchir à mes ambitions personnelles... En fin de compte, je suis très contente !

Sur quoi j'ai éclaté en sanglots.

Le fait que j'aie pleuré à chaudes larmes ne signifie pas que tout ce que je venais de dire était faux, pourtant. D'un certain côté, c'est réellement un soulagement de me dire que je vais passer à autre chose. Et franchement, je serais très, mais vraiment très mal venue de me plaindre alors que j'ai eu quatre enfants qui sont tous en très bonne santé (les angines et otites et strabisme et même l'asthme, ça ne compte pas). Je sais que bien des gens n'arrivent pas à en avoir, je sais que d'autres en ont un ou deux et auraient aimé en avoir davantage. Il est évident que j'ai énormément de chance.

N'empêche que ça me pince encore le cœur, souvent. Quand je vois ma sœur avec son mignon petit Gnafron. Quand je retrouve un soutien-gorge d'allaitement au milieu de mes slips. Quand je me rends compte que dans quelques années à peine, je n'aurai plus que des ados ou pré-ados pour décorer le sapin de Noël avec moi. Quand je reçois un faire-part d'une copine qui vient d'avoir un bébé. Quand j'entends parler d'une famille de cinq ou six enfants. Quand ma mère me persuade de donner mes vêtements de grossesse à Emmaüs. Vous savez quoi ? Je n'ai pas pu. J'ai récupéré le sac poubelle qu'elle avait préparé, et je l'ai remis à la cave. C'est complètement idiot, je sais. En plus, je déteste être enceinte. Mais penser que ce petit numéro cinq que j'étais toute prête à accueillir ne viendra jamais me fait comme un trou dans mon amour. Un petit trou discret, comme celui de ces petits fugueurs qui ont joué à un-petit-tour-et-puis-s'en-va entre le Grand et les Things. Mais un trou qui, je crois, ne se refermera jamais complètement. Comment un être qui n'a jamais existé qu'en imagination peut-il me manquer ainsi ?

Adieu, mon petit bonhomme. Je t'aurais aimé, tu sais...

20 commentaires:

  1. C'est tellement à des années lumière de ce que je suis, que ça m'en est incompréhensible....Mais je t'embrasse très fort.

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  2. Ohhh on n'est pas habitués à ce ton sur ce blog... J'en ai les larmes aux yeux. Je pourrais écrire des choses sensiblement identiques concernant un 4ème chez nous. Dans mon cas donner ces fameux micro habits a participé au processus de "deuil". A chacun son chemin, et vive la vie!

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  3. Ficelle for ever6 janvier 2016 à 09:53

    Ta mère et les2Koalas ont raison : arrête de te faire du mal avec les affaires de grossesse, quelque part, même si tu avais eu Numéro 5, 6, 7, 8...il arrive un moment où tu dois renoncer à être enceinte, tu ne vas pas faire des grossesses jusqu'à 70 ans? Et si c'est accueillir Numero 5 qui est plus important que le fait de mettre un enfant au monde toi-même, lance-toi dans l'adoption (moi je dis ça de manière purement théorique, hein).
    Gros bisous à tous

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    1. Ni mariés ni pacsés, 40 et 47 ans, déjà quatre enfants... Je pense que d'autres couples sont beaucoup plus prioritaires que nous pour une adoption, et avec raison !

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    2. Ficelle for ever7 janvier 2016 à 08:50

      Cela semble si injuste! Avec 4 enfants en commun, vous avez fait la preuve que vous êtes un couple stable et que vous savez prendre soin de gamins.

      Bon, ben on va commencer par vous marier, d'abord. On ira faire du shopping pour te trouver un voile et une couronne de fleurs d'oranger.

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  4. je te comprends car j'aimerais beaucoup un troisième mais mon chéri ne veut pas.
    je comprends ses raisons, en partage certaines, j'apprécie de voir grandir mes fils et de pouvoir prévoir des trucs plus facilement qu'avec l'option "bébé à gérer", j'apprécie mes nuits qui deviennent de moins en moins chaotiques, et les moments de la journée où ils jouent tranquilles dans leur coin, etc ...
    je vois plein d'avantages à ne plus avoir de bébé à la maison, et pourtant il me manque ce troisième, j'ai un deuil à faire et je ne crois pas l'avoir totalement résolu, vu que j'ai moi aussi les petits pincements au coeur quand je vois des bébés, des grossesses, des vêtements de bébé, etc ...
    c'est tellement difficile à faire comprendre aux autres, à ceux qui n'ont pas ce deuil à faire, oui c'est un bébé qui n'était qu'un projet, mais il nous manque quand même; et ce petit trou dans le coeur, cette petite absence, on ne la gère pas comme on veux, on fait avec.

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  5. C'est la première fois que je laisse un commentaire chez toi mais cet article m'a beaucoup touchée. Nous espérons avoir encore d'autres enfants mais rien qu'au vague à l'âme qui m'a prise quand j'ai rangé les affaires de toutpetitbébé de ma seconde (car si 3ème est bien prévu, c'est différent d'après notre 1er où nous savions vouloir enchainer asap), j'ai pu m'imaginer ce que ce serait le jour où je les rangerai pour de bon...
    alors oui, il est bon de se rappeler tous les avantages que le fait de ne pas avoir ce bébé si désiré entraine quand meme (quand nous cherchions vainement à avoir notre premier, je m'offrais un resto japonais à chaque fois que ça avait foiré...), il est aussi nécessaire de prendre le temps de faire le deuil, de se représenter ce qu'on ne connaîtra pas / plus, et de le pleurer.
    Je te souhaite un cheminement serein.

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    1. Merci pour ce premier commentaire si sympathique. Je me reconnais bien dans ces histoires de resto japonais !

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  6. Je mentirais en disant que je te comprends vraiment,vraiment, mais c'est pas obligatoire pour t'envoyer de gros bisous, hein ? Et les fringues de grossesse et de bébé, ça peut se garder et se prêter, je trouve...

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  7. Vous êtes toutes très gentilles, autant celles qui partagent ce pincement au cœur que celles qui se demandent comment je peux être folle à ce point mais qui me soutiennent quand même !

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  8. Mais c'est juste parce qu'on t'aime.

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  9. Nous te soutenons tous du fond du Coeur, que notre situation personnelle nous permette ou pas totalement de vraiment comprendre parce que, comme dit Grenadine, on t'aime. Et cela suffit pour que l' empathie fasse son effet à la lecture de ton très bel article, et que notre devoir te soutien nous invite ensuite à t'encourager et à te rappeler que tu as quand même eu une très belle famille malgré les accidents de parcours que tu évoqués. :-) Tu n' auras peut être pas treize à la douzaine, mais au moins la famille Banks de Mary Poppins, et ce petit monde avec son bruit, son agitation, ses bêtises, ses joies et ses peines, c' est déjà une chance énorme. Profites en donc pleinement, nourris toi de ce bonheur dès que tu sens la mélancolie revenir ;-)

    ...et pour finir sur une petite note humour, rappelle toi que de temps en temps, tes voisins d' Italie de trouve un fils supplémentaire dans tes invités estivaux ;-)

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  10. Petites larmes aussi ici. Je viens chaque jour lire avec plaisir. Il y a ces envies que l'on ne contrôle pas,qu'elles paraissent raisonnables ou pas, elles sont encrées en nous, instinctives. Sois indulgente avec toi même et laisse toi le temps du deuil nécessaire, ne culpabilise pas de ne pas savoir te séparer de tous tes trésors de maman. Chaque chose en son temps.Je t'envoie plein de douces pensées.

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  11. cette ambivalence de sentiment n'est pas évidente à gérer: se dire ouf je vais me concentrer sur mes projets et ne plus avoir de nuits moisies et se dire il manque quelqu'un....

    ici aussi, dès que les "rouges" débarquent je m'offre un verre de vin ou de bière .... mais au final c'est plus pour étouffer la tristesse qui m'étreint

    le deuil d'une espérance n'est pas evident, je le trouve plus difficile que celui d'une chose ayant existé.

    prenez votre temps, vous avez de la place dans la cave, rien ne presse.

    nanou

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  12. Je comprends si bien! Pour moi, c'est après notre n°3 qu'on m'a dit que toute nouvelle grossesse mettrait ma vie en danger, et pendant dix ans j'ai pensé au n°4 à chaque fois que je mettais un couvert asymétrique sur notre table rectangulaire... Ce n'est que bien après 40 ans que j'ai arrêté de regarder dans les landaus qui passaient en rêvant à comme ce serait bien de pouvoir pouponner encore une fois. Je continue d'être émerveillée par les jeunes enfants, mais la page est tournée, et j'ai maintenant de magnifiques petits-enfants.
    Prenez patience, pour vous aussi, la page se tournera d'elle-même, tout doucement...

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  13. Qu'on ait 0, 1, 2,... 4,... 7 enfants quand l'envie est là c'est toujours difficile de voir des ventres ronds, des poussettes, des bébés.
    Je l'ai vécu, ne pouvant pendant plusieurs longues, très longues années avoir d'enfants. Aujourd'hui mon envie a été comblée, j'ai beaucoup de chance !
    Je t'envoie du courage et mes meilleures pensées de soutien.
    Au plaisir de te lire encore longtemps, merci pour ton blog, c'est un régal !

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  14. Quelques petites larmes en te lisant, avec le souvenir d'un petit bout qui n'aura pas pu naître.
    Je t'embrasse très fort. Que tout cet amour ne vous quitte pas.

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  15. Oh là là, Fofo, à moi aussi tu m'as fait monter les larmes aux yeux.
    Je me retrouve un peu dans le commentaire d'Anael, même si je suis satisfaite avec deux enfants et que ma tête me dit que "trois ce ne serait pas raisonnable". Mais le cœur a ses raisons...
    En tout cas, je trouve les propos de Ficelle pleins de bon sens.
    Je te serre virtuellement dans mes bras, chère Fofo ! Courage. C'est vrai que c'est comme une sorte de deuil.

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  16. j'ai pas lu tous les commentaires ma fofo mais tu sais je comprends j'ai eu qu'un enfant et d'autres sont partis d'en d'autres paradis '( j espère) t'en as eu 4 c est le 5eme qui te manque mais pense que tes 4 sont magnifiques! tata

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  17. Un seul enfant par choix commun. Il s'est invité, on l'a accueilli, on en est heureux.
    Intellectuellement je ne comprends pas le drame de ne pas avoir, ou plus. Mais en fait, dans mon coeur, je comprends bien que tout cela n'est que question de choix. Et que c'est l'absence de choix, en avoir ou pas, 2 ou 5, qui pose problème. Je dois tellement le comprendre que j'ai donné mes ovocytes il y a quelques temps. :)
    Alors, en effet beaucoup d'empathie pour vous toutes qui n'avez pas ce choix!

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