jeudi 10 février 2022

Le Grand et la prise de sang

 Le Grand n'est pas très en forme depuis quelques jours. Il est donc allé chez le médecin hier. En revenant, catastrophé, il m'annonce :
— Maman, c'est affreux, je suis mourant !
— ???
— Le docteur m'a dit que je faisais de l'hypertension et qu'il fallait que j'aille voir un cardiologue ! Rien que d'y penser, je me sens mal !

Allons bon. Et dire qu'on croyait tous qu'il avait "deux de tension", comme on dit. La vie est parfois facétieuse.

— Mais tu lui as dit que la simple vue d'un tensiomètre te met en transe ?
— Non, j'ai pas osé, mais j'étais très très très angoissé !

Alors, je n'y connais rien, mais ça pourrait bien être un début d'explication, il me semble.

— Bon, je te reprendrai la tension ce soir à la maison, tranquillement.
— Non ! Non, je veux pas ! J'ai peur ! Non ! Au secours !
— Mais peur de quoi, au juste ? Ça ne fait pas mal !
— Non mais ça serre et donc ça fait gonfler la main et donc ça fait penser aux veines et... Oh là là, je me sens mal.

(Oui, son hématophobie ne s'est vraiment pas arrangée, ces dernières années. Elle a même dramatiquement empiré, ce que je n'aurais pas cru possible. Il n'a même plus besoin de voir du sang : il suffit qu'on mentionne quoique ce soit qui se rapporte au fonctionnement du corps, même les battements de cœur ou les règles ou une anémie, pour qu'il manque tourner de l’œil.)

Depuis hier, je lui mesure donc la tension plusieurs fois par jour, histoire qu'il s'habitue. Ça va déjà un petit peu mieux. J'ai bon espoir que d'ici une semaine, il trouve ça presque banal.

Mais ce n'était pas terminé. Il y a bien pire. Le médecin lui a prescrit une prise de sang.

— Je veux pas, je veux pas, je veux pas, je veux pas, au secours, non, je peux pas !
— Du calme. On ira ensemble demain matin, je te soutiendrai, ne t'en fais pas, c'est très rapide.

J'ai passé un certain temps à le convaincre. Ce matin, miracle, j'arrive à l'emmener au laboratoire, qui n'est heureusement qu'à quelques dizaines de mètres de mon immeuble, car il marche avec l'enthousiasme d'un orang-outang qu'on emmène à l'abattoir. Je rentre, je me présente à l'accueil, je donne la carte vitale :

— C'est pour mon fils aîné.
— Mais... il est où, votre fils ?
— Il attend dehors. Il est très stressé. Il vaut mieux qu'il reste à l'extérieur jusqu'au dernier moment.

Quand c'est son tour, il entre bravement, s'assoit sur le fauteuil, tremble de tout son corps, n'arrive pas à tendre le bras, a la tête qui tourne. Sous les yeux de l'infirmer ébahi, je lui serre la main (l'autre), je lui cache les yeux pour qu'il ne voie rien, je lui appuie la tête contre le dossier (histoire qu'il ne tombe pas s'il s'évanouit vraiment). Et pendant que l'infirmer pique, je tente de le distraire :

— Allez, courage, dans une minute c'est terminé. Pense à autre chose !

Il n'y arrive pas. Il est blême, en sueur. 

— Allez, mon grand, un petit effort. Tiens, parle-moi un peu de Tamerlan. Quelles sont ses dates ?

Il revient d'entre les morts pour souffler :

— Euh, je me souviens plus de sa date de naissance, mais il est mort en 1405...
— Ah, d'accord. Jeune ou vieux ?
— Assez vieux, à peu près soixante-dix ans.
— Et qui lui a succédé ? Il avait des enfants ?
— Oui, deux fils, mais ils sont morts avant lui...

(L'infirmier a rempli deux fioles. Plus que quatre. On va y arriver.)

— Du coup, qui lui a succédé ?
— Alors, c'est son petit-fils... Oh là là, je vais m'évanouir...

(Plus que trois.)

— Mais non, mais non, tu ne me peux t'évanouir comme ça, j'ai impérativement besoin d'en apprendre davantage sur Tamerlan là maintenant tout de suite. C'était un admirateur de Gengis Khan, non ?
— Oui, il a même épousé une de ses descendantes. J'ai la tête qui tourne...

(Plus que deux.)

— Et c'était dans la même partie du monde ? Ohé ? Tu m'entends ? Concentre-toi. Tamerlan et Gengis Khan ont-ils conquis les mêmes territoires ?
— Non, pas du tout. Gengis Khan était mongol, alors que Tamerlan était Ouzbek. Tu sais où est l'Ousbékistan ?
— Euh, très vaguement...  Plus à l'ouest ? Et plus au sud aussi, peut-être ?
— Oui, c'est ça, ça ne touche même pas la Mongolie.

Terminé ! On a réussi ! Comme il est complètement dans les vapes, c'est moi qui appuie sur le coton pendant que l'infirmier, imperturbable, étiquette les fioles. Si ce dernier est un peu surpris de cette leçon d'histoire imprévue, il n'en laisse rien paraître. Le Grand parvient à se redresser, puis à se relever. Je m'excuse en son nom :

— Désolé, monsieur. J'imagine que vous devez en voir d'autres, des hématophobes, non ?
— Plutôt des gens qui ont peur des aiguilles. Mais à ce point-là... Un par an, peut-être ? Là c'est bon, je l'ai vu, je suis tranquille pour 2022 !


Bon. Dans quelques semaines, bilan cardiaque. Je me prépare psychologiquement. L'occasion d'une leçon sur les Croisades, peut-être ?


3 commentaires:

  1. La mienne,jeune adulte de 22 ans, s'évanouit presqu-à chaque prise de sang.Ici, l'astuce est de la faire parler de Doctor who. Sujet sur lequel elle est incollable. Actetsesloisirs. Je mets le nom de mon blog car je n'arrive à publier qu'avec "anonyme".

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  2. Mon frère avait réussi à tomber dans les pommes lorsqu'il avait accompagné sa fille (4 ans) se faire opérer des végétations. Et à l'infirmière qui, après l'avoir ranimé, lui demandait s'il était venu seul, il avait répondu "Non, avec ma fille".
    Je viens d'acheter Bobards et Cie dans la toute nouvelle librairie de ma ville de banlieue. J'allais acheter le pain et la librairie est à côté de la boulangerie (emplacement très stratégique à mon avis), je suis entrée pour juste faire un petit tour sans rien acheter, puis j'ai décidé de commander ton livre mais ils l'avaient, preuve que c'est une très bonne librairie. Bref, je suis sortie avec trois livres : un pour la plus petite des mes petites-filles, un pour mon mari et le tien... pour moi évidemment !

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    1. " Non , avec ma fille", ça a dû être d'une grande aide à l'infirmière ! Ça m'a bien fait rire en tout cas.

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