lundi 4 février 2013

Qu'allons-nous faire maintenant ?

J'aime bien cette auteure, qui sait décrire des personnages adorables et des atmosphère délicieuses, mais elle a un gros défaut : elle termine tous ses romans par une scène "d'action" (vous allez comprendre la raison des guillemets), avec en général un petit groupe d'enfants d'un côté, et une sorcière / un monstre / un dragon / un assassin en face.
Jamais, jamais l'héroïne toute seule contre le vilain.
Pourquoi ?
Parce que l'auteure aime bien les dialogues. Et qu'elle ne veut pas se priver d'en écrire. Quelles que soient les circonstances.
(Elle aime aussi les incises, à outrance, ce qui pose problème, surtout quand l'éditeur français rejette catégoriquement l'usage de guillemets.)
Ce qui nous donne à peu près ça :

Le sorcier se dressa devant eux, le poignard levé, en ricanant méchamment. Les trois amis reculèrent jusqu'au mur.
— Il va nous assassiner ! se lamenta Machine, paniquée.
— Non, il va nous ensorceler, corrigea Trucmuche, même si les circonstances ne se prêtaient guère aux disputes. Ce qui n'est pas beaucoup mieux, je te l'accorde. Surtout si personne n'est ensuite capable de briser le sort, puisque la magie a disparu de ce continent, comme vous le savez...
— Il faut faire quelque chose. Regardez, il approche !
[Pas trop vite, vous remarquerez. Il est poli, ce sorcier. Il laisse les gens terminer leur conversation avant de les attaquer.]
— C'est vrai, mais que pouvons-nous faire ? dit Untel, angoissé. Je n'ai pas d'armes.
Il se rongeait les ongles. La présence du sorcier l'empêchait de réfléchir clairement. Pourtant, il aurait fallu réagir. Leur oncle le leur avait bien dit : ce sorcier ne s'attendrait pas à ce que des enfants contre-attaque. Il fallait donc le prendre par surprise. Pouvaient-ils lui faire un croche-pied ? Non, ça ne fonctionnerait jamais.
— J'ai peur... gémit Machine. Fuyons !
— Par où ? demanda Trucmuche, qui regarda frénétiquement autour de lui. La porte est fermée. A moins que tu ne saches où est la clef ?
[Pendant ce temps, on suppose que le sorcier se mouche, admire les tableaux accrochés au mur, compte son argent afin de voir s'il a assez pour s'acheter un pain au chocolat, se lime les ongles, ce genre de choses.]
Soudain, un bruit s'éleva dans la cour. Des sabots de cheval. Leur oncle revenait-il enfin ?
Reprenant espoir, Untel s'écria :
— Il faut tenir jusqu'à l'arrivée de mon oncle ! Lui saurait certainement le combattre.
Le sorcier fit un autre pas en avant. [Il était temps !] Il avait entendu le bruit, lui aussi, et voulait en finir avec ces trouble-fête le plus vite possible. Les enfants se serrèrent les uns contre les autres.
— Attendez ! lança soudain Trucmuche. J'ai un plan ! Machine, peux-tu me passer le mouchoir que tu as dans ta poche ?
— Tu comptes l'étrangler avec mon mouchoir ? s'étonna Machine. Mais il n'est pas assez grand !
Trucmuche soupira, agacé.
— Mais non ! Passe-le-moi, tu verras...

Et patati, et patata, et patati, et patata, jusqu'à ce qu'ils réussissent à l’assommer avec un balais ou un truc de ce genre, non sans avoir longuement commenté leur projet auparavant et débattu des meilleurs moyens de le réaliser, en présence de leur future victime qui a aimablement fermé ces oreilles pendant ce temps.

Alors que fait la pauvre traductrice ? Elle passe un temps fou sur cette scène, elle coupe certaines phrases de dialogue, elle ajoute d'autres phrases pour justifier le fait que le sorcier ait fait quatre pas en autant de pages, elle transforme certains discours directs en pensées (on pense plus vite qu'on ne parle, c'est plus crédible), elle essaie de limiter les incises (difficile, quand il y a plus de deux interlocuteurs), et elle se dit que franchement, elle se serait bien passé de ce pensum supplémentaire juste à la fin du roman alors qu'elle doit rendre sa traduction pour le 31 janvier sans faute. Surtout que comme, après les coupes, le dernier chapitre en français est plus court que le chapitre en VO, elle est finalement moins bien payée que si elle avait laissé tel quel ce passage indigeste.
Mais en général, l'éditeur est content du travail accompli. Ça compense.



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