mercredi 5 novembre 2014

Une nuit aux urgences

(Avertissement : ce billet est très long. Mais beaucoup moins long que la journée et la nuit qu'il raconte, croyez-moi.)

Avant-hier soir, au moment du dîner, lorsque le Filou, au lieu de venir regarder ce qui se trouvait dans la casserole et se mettre à hurler de rage ("Non ! Pas riz ! Beurk, riz ! Fifi, a veut pas ! A pâtes ! Sinon, Fifi, a pa'ti ! Pati, Fifi ! A'roir, maman !") (je soupçonne l'ass-mat de lui lire Le petit Nicolas pour l'endormir à la sieste) pour finalement avaler avec résignation quelques cuillerées de risotto au fenouil, puis se gaver de fromage (sans pain, ça gâche le goût du fromage) et enchaîner sur plusieurs desserts, lorsque, disais-je, au lieu de se comporter comme d'habitude, le Filou est resté allongé sur le canapé et a réclamé d'aller au lit, j'ai tout de suite compris que j'allais passer une mauvaise nuit. S'il a pu arriver très occasionnellement que cet enfant se passe de dîner suite à un caprice particulièrement violent (ou un goûter particulièrement abondant, mea culpa), jamais il n'a réclamé son lit, jamais.

A 20h, il avait 39,5°. Doliprane, puis Advil à 23h (pas bien, et même dangereux, m'a répété le médecin, mais les habitudes sont dures à perdre : à l'époque du Grand on alternait les deux, et j'avais vraiment pitié du Filou fiévreux) (et surtout, je voulais dormir) (je suis la pire des mères indignes) (d'accord, je ne le ferai plus), puis Doliprane à 2h du matin, puis Advil à 5h, puis Doliprane à 8h. Et entre chaque prise, de l'eau, tous les quarts d'heure en moyenne, sauf entre 3h et 5h du matin. J'ai dormi deux heures, donc. Et l'enfant, pas beaucoup plus.
Rien n'y faisait. Doliprane, Advil, eau, déshabillage, lingette mouillée sur le front : il est resté entre 39° et 40° toute la nuit. Il a vomi deux fois l'eau avalée, aussi.

Au matin, j'ai appelé le médecin. Normalement j'attends au moins 24h, souvent 48h, et souvent ça passe comme c'est venu ; mais cette fois, il n'était pas bien. Pour de vrai. Pas juste grognon : il ne quittait pas mes bras, il pleurait ou somnolait tout le temps, il grelottait de froid avec les extrémités glacées mais brûlait de fièvre... Il n'avait rien avalé d'autre qu'un biberon, qu'il a vomi aussitôt. Le médecin m'a donné rendez-vous à 15h. J'ai passé toutes ces heures d'attente avec une serpillière geignante et bouillante dans les bras. J'ai réussi à le poser dix minutes vers midi pour grignoter un bout de pain et de fromage, mais j'ai dû le reprendre avant d'avoir terminé mon yaourt. Enfin, l'heure du rendez-vous est arrivée. Hélas, le médecin n'a rien trouvé. Pas d'otite, pas d'angine, pas de méningite, pas de diarrhée, alors quoi ? Une infection urinaire ? Direction le labo. Prise de sang et analyse d'urine. On vous appellera. En attendant, donnez du Doliprane. Je suis rentrée à la maison avec le Filou, plus malheureux que jamais d'avoir été piqué par l'infirmière et déshabillé deux fois alors qu'il avait froid. Le pauvre, il n'était pas au bout de ses peines.

20h, le médecin téléphone. Entre temps, Darling était revenu, et avait pris la serpillière bouillante, ce qui m'avait permis d'avaler quelques feuilles de salade et quelques cuillerée de purée mousseline.
— Alors, j'ai les résultats du labo, il ne semble pas y avoir d'infection urinaire, mais l'analyse sanguine n'est pas bonne, il vaut mieux que vous alliez aux urgences. Passez d'abord par ici, pour que je recopie le résultat des analyses dans le carnet de santé.
Quelqu'un peut-il me dire pourquoi je me retrouve toujours à aller aux urgences en fin de soirée et pas tranquillement à 10h du matin ?

Je pars donc, avec le petit sur le dos (vu son état, et vu qu'il refusait de me lâcher même pour une minute, j'ai laissé tomber le vélo). Je passe par le cabinet du médecin, puis j'arrive aux urgences. Un monde fou. Je m'installe dans un coin, avec mon machin bouillant dans un bras et ma liseuse dans l'autre (une des occasions où le fait de pouvoir tourner les pages d'une seule main est bien pratique). Périodiquement, j'emmène le Filou aux toilettes et j'essaie de lui faire faire pipi dans le flacon qu'on m'a donné pour vérifier si ce n'est vraiment pas une infection urinaire, mais le môme n'est pas coopératif (je me souviendrai longtemps d'être restée de longues minutes agenouillées devant ces toilettes, tenant le Filou en pleurs d'une main, le flacon de l'autre, l'odeur d'urine dans les narines, la cuvette à cinq centimètres de mon nez, prête à placer à toute allure le flacon sous les fesses du gamin s'il réussissait enfin à faire quelques gouttes). Au bout d'une heure, nous voyons l'infirmière de service. Gamin réveillé, déshabillé (pour la troisième fois de la journée), examiné. Puis retour dans la salle d'attente. Enfin, à 11h et demie, nous voici en présence d'une interne. Quatrième déshabillage et examen. L'interne est aussi perplexe que le médecin tout à l'heure. Elle sort périodiquement pour consulter sa chef. A chaque fois, le Filou en pleurs se rendort sur la table d'examen, et moi aussi (il exige que je reste collée à lui, donc je suis forcée de m'allonger près de lui) (non, cette fois ce n'est pas un prétexte). A chaque fois, réveil brutal et nouvel examen :
— Ah, j'ai oublié de vérifier sa nuque.
— Non mais on a déjà vérifié deux fois, ce n'est pas une méningite.
— Peut-être, mais je préfère être sûre. Il est assez raide, je trouve...
— Peut-être parce qu'il est en train de se contorsionner de rage ?
— Ah oui, peut-être. Vous pouvez essayez, vous ? Non, c'est bon, il tourne bien la tête. Vous pouvez être rassurée : ce n'est pas une méningite.
— Heu, merci...

A minuit et demie, on nous annonce qu'étant donné les circonstances, on va lui faire une autre analyse de sang et une autre analyse d'urine. Après une bataille épique où j'ai tout essayé, y compris de faire pisser l'enfant dans le lavabo, debout sur le rebord (non mais j'aurais tout recueilli dans le flacon, bien sûr ! De toute façon, rassurez-vous, ça n'a pas marché), je réussi enfin à recueillir quelques gouttes d'urine grâce à un petit chantage efficace ("Ah oui, tu as envie de faire caca ? Eh bien, soit tu fais d'abord pipi dans ce flacon, soit tu te ch*** dessus, mon bonhomme."). Puis déshabillage (cinquième) et prise de sang (je raconte ? Non.) Puis, à 1h passée, on nous emmène dans une salle d'attente :
— On va vous apporter les résultats dès qu'ils seront prêts. Ça prend environ deux heures. Vous pouvez vous allonger sur ces fauteuils, en attendant.

C'est à ce moment précis que le Filou est subitement guéri.

Je vous jure. Une demi-heure plus tôt il était mourant, et tout à coup, il avait repris du poil de la bête. Vérification faite, ce n'était pas moi qui rêvais : la fièvre était enfin tombée, après plus de 24h.
Super !
Pas vrai ?

En fait, non, pas super du tout. Car pour la première fois depuis la veille au soir, le Filou tenait enfin sur ses pattes, et pouvait marcher. Voire à sauter et à courir. Et il ne s'en est pas privé. Au lieu de s'allonger avec moi, il s'est mis à jouer tout autour de la salle d'attente. A bout de forces, je m'assoupissais sur mon fauteil, puis je me réveillais en sursaut, soit parce que je ne l'entendais plus ("Mon dieu, il s'est enfui ?"), soit parce que je ne l'entendais que trop ("MAMAN ! Ragade, un bateau !").

Vers 2h45, tout de même, il a eu un petit coup de barre et est venu s'allonger près de moi. Nous nous sommes endormis immédiatement.
Pendant cinq minutes. A 2h50, une pédiatre est arrivée.
— Bonjour ! Nous avons enfin les résultats du Filou. Il est confirmé qu'il n'a pas d'infection urinaire, et en fait, il n'a probablement pas non plus d'infection bactérienne, malgré les résultats de la prise de sang. Ce doit être juste un virus. Je vais tout de même l'examiner, si vous permettez. Alors, voyons... Il pleure beaucoup : vous croyez qu'il a mal quelque part ?
— Non, je crois juste qu'il est trois heures du matin, qu'il venait de s'endormir, et qu'il vient d'être déshabillé pour la sixième fois en quelques heures...
— Nous allons le garder pour la nuit, en observation, et surtout pour pouvoir le perfuser, car d'après l'analyse sanguine, il est déshydraté.
— Mais je n'arrête pas de le faire boire !
— S'il vomit et qu'il a une forte fièvre, ça ne suffit pas. Rhabillez-le, les infirmières vont venir vous chercher pour vous installer dans une chambre.

Elle part. Le Filou commence à se rendormir. Hélas, les infirmières arrivent.
— Venez, on va lui poser la perfusion, et on va lui mettre une chemise de nuit.
Septième déshabillage, et troisième piqûre de la journée. C'est peu dire que le Filou n'en peut plus. Quant à moi, je n'arrive même plus à lire (et pourtant, je suis plongée dans Dumas). Enfin, on nous conduit dans une chambre, avec un lit et une espèce de lit de camp.
— Il peut dormir dans un vrai lit, ou vous préférez un lit à barreau ?
— Vu son état de fatigue, je doute qu'il essaie de s'enfuir. Mais il risque de tomber...
— Non, rassurez-vous, il y a des barrières.
Quand j'ai voulu le déposer sur le matelas, cependant, le Filou s'est mis à hurler. Je crois qu'il ne comprenait plus rien, et était très inquiet d'être dans ce lit inconnu. Impossible de lui faire admettre que le lit de camp était à moins de vingt centimètres du sien. Du coup, je me suis allongée avec lui. Et je me suis dit que c'était plutôt une chance que je n'aie pas choisi le lit à barreaux, en fin de compte.

A quatre heures du matin, nous nous sommes donc enfin endormis dans un vrai lit, l'un contre l'autre.

Et c'est tout. La fièvre n'est plus revenue. Au matin, après une nuit de perfusion, il avait retrouvé des forces. Les infirmières nous ont fait la grâce d'attendre jusqu'à 8h30 avant de venir avec leur balance, leurs suppositoires, leur tensiomètre, etc. Il a encore fallu lui faire avaler quelque chose, vérifier qu'il ne vomissait pas, et à 11h, nous avons été libérés. Darling, qui devait venir me relayer vers 9h, est arrivé juste à ce moment-là : il s'était perdu en venant et avait passé trois quatre d'heures à errer dans la mauvaise commune ("Mais tu ne t'es pas rendu compte que tu n'avais pas traversé un pont ?" "Heu, en fait j'avais oublié qu'il y avait une rivière entre les deux..."), puis il a encore perdu une demi-heure à l'hôpital à chercher un Mr Thing Two qui ne figurait sur aucun dossier (Darling confond les prénoms de ses fils encore plus souvent que moi), puis il a dû parlementer longuement avec le responsable du service qui avait du mal à admettre qu'il était le père de cet enfant dont il ne connaissait même pas la date de naissance, mais enfin il nous a rejoint, et nous sommes rentrés tous ensemble. Cet après-midi, le Filou et moi avons fait une sieste de trois heures. Et maintenant, il est en pleine forme. Tout va bien.

Quoique... Miss Thing One est un peu chaude, non ?
Ah ben si, elle a 38,6°.

Bon, je vais me coucher.


5 commentaires:

  1. Je ne devrais pas rire à la pensée de Darling errant dans la mauvaise commune à la recherche de l'hôpital, d'autant que ce n'est pas la première fois, je ne devrais pas, hein?
    As-tu un paquetage spécial "urgences", comprenant lingettes, barres vitaminées, plaid polaire, oreiller gonflable etc...?

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    1. Concernant Darling, il vaut mieux rire que se fâcher, hein ?

      Je n'ai pas de trousse spécial urgences, mais tu as raison, je devrais y penser...

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  2. Alors Miss Thing One ?
    J'aime lire le malheur des autres... ça me rappelle les nôtres :D
    Mais nous sommes "petits joueurs", nous nous sommes arrêtés à trois... C'est plus facile pour retenir les prénoms et dates de naissance (en plus je triche il y a des jumelles donc ça ne fait que 2 dates :D).

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  3. Tu as dû vivre un enfer mais tu le racontes si bien que c'est dur de ne pas rire...
    Figure-toi que mon number two a eu pratiquement la même chose que ton fiston, et au même moment ! Je l'ai récupéré lundi à la sortie de l'école avec de violents maux de tête, pas d'appétit... Il s'est couché tôt, sans fièvre, puis s'est réveillé à 23h pensant que la nuit été finie... Comme il était bouillant, j'ai pris sa température, et là : 39,3 °C ! La nuit a été méga pourrie aussi, il se réveillait toutes les deux heures, j'ai très peu dormi... Le lendemain, il avait encore 39°C de fièvre presque toute la journée. Je l'ai couché le soir en m'apprêtant à l'emmener chez le médecin le surlendemain, mais figure-toi qu'il s'est réveillé en pleine forme et qu'il a pu aller à l'école sans souci. C'était une maladie-éclair... et 2 autres enfants de sa classe ont eu la même chose ! Donc il y a un virus dans l'air...

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    1. que la nuit était finie, of course ! C'est ça de ne pas se relire avant de poster... :-/

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