samedi 5 décembre 2015

Aphysionomapathique

Je vous ai raconté moult fois à quel point j'ai du mal à reconnaître les gens ET à me souvenir de leur nom. Cela m'a valu quelques moments très gênants au cours de mon existence, en particulier dans la vie professionnelle. Du coup, je suis toujours très inquiète lorsque je vais dans un salon du livre, en particulier lors d'une inauguration.
Mercredi soir, lors de l'inauguration du Salon du livre jeunesse, lorsque je suis arrivée sur le stand de l'un des éditeurs pour qui je travaillle, j'étais très fière de moi : j'ai reconnu quelqu'un du premier coup d'oeil.
— Ah, ça c'est la directrice littéraire, celle qui a été obligée de se présenter la dernière fois ! Ah, super, je progresse. Je me souviens très bien d'elle, elle s'appelle... elle s'appelle...
...
Incurable.
Heureusement, pour lui dire bonjour, je n'ai pas eu besoin de son nom, qui m'est revenu par la suite.

Quand mon éditrice est arrivée, je lui ai raconté l'anecdote. Elle a beaucoup ri, puis elle m'a conseillé :
— Tu n'as qu'à dire que c'est une pathologie.
Bonne idée.

Plus tard, je me suis dirigée vers le stand d'un éditeur avec qui je n'ai travaillé qu'à distance. Cette fois, j'avais une bonne excuse pour demander qu'on me le désigne, puisque je ne le connais pas "de visu" : j'ai juste échangé une vingtaine d'emails avec lui. J'ai un peu traîné sur le stand jusqu'à ce que quelqu'un me demande aimablement :
— Vous cherchez quelqu'un ?
— Oui, un éditeur, euh...
Et c'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que j'avais oublié son nom. Je n'ai pas eu le courage de demander à cette aimable personne de me réciter le nom de tous les éditeurs présents (en général, si j'ai droit à un QCM, je trouve la bonne réponse) , donc je suis partie.

Hier soir, nouvel incident. J'arrive pour faire l'interprète lors d'une rencontre, on me présente l'auteur étranger, très bien, sur quoi un autre auteur arrive, un Français. Et sa tête me dit quelque chose. Je ne suis sûre de rien, mais quand quelqu'un nous présente l'un à l'autre, il confirme :
— Oh, on se connaît !
Oui, on se connaît, mais d'où ? Son nom ne me dit rien du tout. Je me creuse la tête. Certains auteurs sont également éditeurs, ai-je travaillé pour lui ? Je ne crois pas. Je n'ai pas pu faire l'interprète pour lui l'une des années précédentes, non seulement parce qu'il est français, mais surtout parce que si je l'avais vu pendant une heure il y a deux ou trois ans, je ne l'aurais pas reconnu, c'est certain. Alors quoi ? Je finis par craquer :
— Excusez-moi, je suis très peu physionomiste, pouvez-vous me dire d'où on se connaît ? Sinon ça va me travailler toute la nuit...
Il rigole, mais je pense qu'il est un peu vexé.
— C'est vrai, tu ne te souviens pas de moi ? Oh, on a juste bossé ensemble sur des commissions pendant trois ans...
Bon sang de bon sang de bonsoir. Nous nous sommes vus au moins dix fois, nous avons débattu pendant des heures et des heures, nous avons déjeuné ensemble. Et je ne l'ai pas reconnu.

Le pire c'est que, pour autant, je ne l'ai pas oublié. Je me souviens de lui. Je m'en souviens même très bien. Je me souviens de son caractère, de sa manière de parler, de ses plaisanteries, de ses opinions. Mais comment voulez-vous expliquer à quelqu'un que ce n'est pas lui ou elle que vous avez oublié(e), mais "seulement" son nom et sa tête ?

— Il faut vraiment que tu dises que c'est une pathologie, me confirme un ami à qui je raconte la scène.
— Tu as raison. Si je m'excuse en expliquant très sérieusement que je souffre du syndrome de Machintruc, avec un mot savant, peut-être que ça passera. Mais il faut lui trouver un joli nom, alors.
— Alors, voyons... pathologie... physionomie... hum...

Et après avoir médité pendant quelques secondes, mon ami a enfin mis un nom sur la maladie qui pèse sur moi depuis des dizaines d'années, et c'est un immense soulagement.

Car après tout, si certains souffrent de géphyrophobie ou de placomusophobie, pourquoi ne souffrirais-je pas, moi, d'aphysionomapathie, hein ?

12 commentaires:

  1. Mais ....la prochaine fois que je sonne à ta porte, tu m'ouvres, hein, dis ?

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    1. Ah la la, on me l'a déjà fait plusieurs fois depuis que j'ai parlé de l'architecte qui a sonné à ma porte l'autre jour. Non, mais ne vous inquiétez pas, quand j'ai passé une semaine de vacances avec quelqu'un, ou que j'ai sali sa cuisine en y faisant des beignets, ou que j'ai partagé au moins dix fou-rires avec cette personne, c'est bon.

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    2. Ouf ! Je cumule les 3, je suis sauvée !!!!

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  2. C'est pour ça que c'est bien, les relations avec les lecteurs de blog: un pseudo qu'on n'a pas besoin de mémoriser puisqu'on l'a devant les yeux, des gens inconnus qui en général le restent, et cerise sur le gâteau, on peut en plus s'amuser à fantasmer sur: À quoi peut bien ressembler tel ou telle qui écrit de pareilles sottises?

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  3. Ca doit être horrible, d'être placomusophobe! Enfin tant pis, ça en fera plus pour les autres.

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  4. Mais je crois avoir fait pire : parler longtemps avec quelqu'un en étant persuadée que c'était quelqu'un d'autre, d'une autre institution.

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  5. Mais n'avions nous pas dit plutôt "anomaphysiopathie" ? ;-)

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    1. Oui mais "nom", en grec, c'est "onoma", comme dans "onomatopée". Donc en inversant, ça marche :
      a - physi(o) - onoma - pathie

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  6. Ah oui c'est vrai qu' il y avait ce mélange de grec et de latin qui gênait... Maintenant on peut demander à faire figurer le terme dans un dico médical, il se mêlera dans la masse sans problème ^_^

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  7. VOus êtes assez barges, les mecs, brillants, mais barges.

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  8. Quel est le point commun entre Fofo et Brad Pitt ?
    Réponse là : http://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2015/07/02/votre-visage-me-dit-quelque-chose_4668193_4500055.html

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    1. Oh bon sang, MERCI ! Je n'en reviens pas ! C'est vraiment vrai, alors, c'est bel et bien une pathologie ! Avec un nom encore plus compliqué que celui que j'avais inventé... Merci, vraiment !

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