lundi 7 décembre 2015

Bartleby le scribe



C'est un magnifique album paru en 2013 aux éditions Sarbacane, et qui reprend le texte intégral de Bartleby le scribe, célèbre nouvelle de Melville, avec de superbes illustrations, en très grand format, de Stéphane Poulin. Bartleby, je le connais depuis que Daniel Pennac en a parlé dans l'un de ses romans, Des Chrétiens et des Maures. Sa description (« Qui a lu cette longue nouvelle sait de quelle terreur peut se charger le mode conditionnel ») avait éveillé ma curiosité. Bartleby, c’est donc ce copiste qui, lors d’une demande de son patron, répond « I would prefer not to » : je préférerais ne pas le faire. Et lors de sa relecture de la nouvelle, le narrateur de Des Chrétiens et des Maures, l’aîné des Malaussène, nous dit même :

Suivait une note sur la traduction la plus adéquate de l’expression utilisée par Bartleby : I would prefer not to. Fallait - il écrire, comme la traductrice l’avait fait dans une précédente édition : « Je préférerais n’en rien faire », ou moderniser l’expression en optant pour ce « J’aimerais mieux pas », moins poli mais plus ferme ? La difficulté résidait dans ce not to final, particularité anglaise intraduisible chez nous. Or, toute la détermination de Bartleby vient de cette opposition entre l’apparente politesse du conditionnel I would prefer et le tranchant de ce not to.

Quand j’ai vu l’album au Salon du Livre, j’ai donc regardé, par curiosité, pour quelle formule le traducteur* avait opté. Et je suis tombée sur…
Je préférerais ne pas.
Si, si.
C’est une formule que vous utilisez tous les jours, non ? « Tu peux me passer le sel ? » « Je préférerais ne pas, c’est déjà bien assez salé comme ça ».

Il est très beau, cet album. Vraiment très beau. Pourtant, je vous jure que je ne l’achèterai pas.

* Normalement, je cite toujours le nom du traducteur, bien sûr. Cette fois, je m’abstiens, pour des raisons évidentes, mais aussi parce que je ne suis absolument pas certaine que ce soit le traducteur qui soit l'auteur de cette phrase ahurissante (et répétée à maintes reprises : ce n’est pas une faute de frappe). N’importe quel éditeur se piquant de comprendre l’anglais, n’importe quel correcteur trop zélé a pu décider qu’ici, le mot-à-mot s'imposait. N’empêche que je me demande comment ça a pu être validé, et s’il y a eu des protestations, ou si personne n’a osé piper mot…

11 commentaires:

  1. Ah oui, c'est assez incroyable ! Parfois on lit des trucs ahurissants, sans savoir comme tu dis à qui exactement on doit jeter la pierre (Pierre).
    Moi j'ai eu récemment un choc en lisant aux garçons "Sacrées sorcières" de Dahl. Mon aîné a très justement fait remarquer qu'il y avait un problème dans l'histoire, car la potion souris à retardement est censée ne pas marcher sur les adultes, et donc sur les sorcières (puisqu'elles sont adultes). De même, la grand-mère ne devrait pas avoir à craindre que les clients adultes de l'hôtel en ingère, si ça ne marche que sur les enfants. Or, le souriceau doit verser la potion uniquement dans la marmite de soupe destinée aux sorcières. J'ai quand même comparé la V.F. et la V.O. A la question "Que se passe-t-il si c'est un adulte qui boit la potion ?", posée par une sorcière de l'assemblée, en V.F. la Grandissime sorcière répond : "La potion ne marche pas avec les adultes." Mais en V.O. : "That's just too bad for the grown-up." (qu'on peut en gros traduire par "Dommage pour eux", pour ceusse qui causent pas bien l'anglais^^)
    CE QUI CHANGE TOUT !!
    Je n'en revenais pas. Et dire que j'ai lu ce livre au moins 5 ou 6 fois quand j'étais petite et que ça ne m'a jamais choquée. Pour le coup j'ai félicité mon grand de la finesse de son analyse... (en me demandant si je ne devais pas écrire à Folio pour leur signaler l'erreur, pour la prochaine réimpression). Surtout que c'est dommage, le reste de la traduction étant, je trouve, de très bonne qualité !

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    1. Ah oui, c'est assez ahurissant, là aussi ! Si tu as le courage d'écrire à Gallimard, je pense que tu ne devrais pas hésiter. Moi j'ai fait part de mon indignation à quelqu'un du stand Sarbacane, je ne sais pas si elle fera remonter...

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    2. Moi qui étais déjà édifiée par "je préférerais ne pas"... Comme Fofo, je pense que tu devrais écrire à Gallimuche, éventuellement en demandant au standard à qui adresser le courrier. Et tant que tu y es, un CV ferait peut-être too much, mais un petit lien vers ton site, sous ton adresse...

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    3. Sinon Fofo, tu as saisi l'allusion de Leze pour "jeter la pierre (Pierre)"?

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    4. Euh, à part l'histoire de la femme adultère dans le Nouveau Testament, tu veux dire ? Non. Un film à mettre sur ma liste ?

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    5. J'en connais une qui va re-visionner un classique de Noël ;-)

      Je repensais à l'aphysionomapathie, c'est un comble d'avoir une mémoire phénoménale pour des personnages de romans, et pas dans la vie de tous les jours.

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    6. Ou pour les films...
      Moi je peux retenir les noms de parfum, car je trouve ça intéressant. Est-ce à déduire que les gens peu fréquentés et les films c'est moins intéressants chez toi que la littérature, j'ai envie de sauter le pas ;-) Il faut bien que la mémoire fasse le tri, et le ménage.

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    7. Oui je pense que tu as vu le film : le Père Noël est une ordure. Ca fait partie des répliques virales comme on dirait aujourd'hui, tout comme les dubiccus "roulés à la main sous les aisselles, c'est fin c'est très fin, ça se mange sans faim", la serpillère qui est un gilet "mais où avais-je la tête, il y a des trous plus grands pour les bras", "vous m'avez dépeint cette soirée avec brio-avec qui?", "je n'aime pas dire du mal des gens, mais effectivement elle est gentille" etc etc...

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    8. Ah oui, j'ai vu la pièce de théâtre filmée, et je me souviens de certaines de ces répliques, mais pas de toutes. Il faut dire que j'ai détesté, ce n'est pas du tout mon genre d'humour...

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    9. Je ne me souviens pas trop de la pièce filmée.
      Dans le film, c'est Josiane Balasko qui dit sèchement à Thierry Lhermitte : "je ne vous jette pas la pierre, Pierre!"

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  2. OK, je vais suivre vos conseils ! Je n'avais pas envie de passer pour une donneuse de leçons, mais quand même, c'est important...

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