vendredi 9 janvier 2015

Le petit garçon et le terrorisme

Et puis il a bien fallu aborder le sujet avec les Things, de peur qu'ils en entendent parler par ailleurs et que mon silence nourrisse leur peur d'avantage encore que mes paroles. Miss Thing One n'était pas au courant et ne s'y intéressait pas vraiment. Mr Thing Two, lui, avait plus ou moins compris pourquoi les sorties scolaires étaient annulées, avait entendu parler des "terroristes", et comme c'est un petit garçon assez angoissé, le sujet le travaillait.

Comment explique-t-on à un enfant de quatre ans et demi que des gens puissent commettre des crimes aussi abominables quand on ne le comprend pas soi-même ? Il voulait savoir si ça s'était passé près de chez nous, cette histoire. Quand je lui ai dit que c'était à plusieurs heures de marche d'ici (je voulais lui donner un ordre de grandeur, car sa notion des distances est encore très approximative), il m'a demandé si les terroristes n'avaient pas de voiture. Quand je lui ai dit que non, on ne pouvait pas acheter un pistolet pour se défendre car les armes à feu étaient interdites en France, il m'a demandé où les terroristes avaient pris les leurs. Quand je lui ai promis qu'il n'y avait pas de terroriste dans le quartier, il m'a répliqué que puisque les sorties étaient annulées, c'était bien parce que il pouvait y avoir des bombes à la bibliothèque. Quand j'ai tenté maladroitement d'expliquer que les assassins s'en étaient pris à des dessinateurs dont les œuvres leur déplaisait, il a voulu savoir si lui aussi se mettait en danger quand il dessinait...

Comment expliquer à un enfant qu'on peut être considéré comme un ennemi par quelqu'un qu'on n'a jamais vu ? Comment le rassurer alors qu'il découvre que même sans avoir d'accident, sans être malade, et sans avoir jamais fait de mal à personne, on peut être une victime ? Comment dire l'indicible, lui faire accepter l'inacceptable ?

15 commentaires:

  1. C'est la figure du croque-mitaine, non?
    Le risque terroriste est si faible (comparé à un accident de voiture blablabla) qu'il en est presque théorique. Néanmoins pour leur bien, on doit dire aux enfants que le mal existe, et que certains comportements sont plus dangereux que d'autres.

    Et puis les livres d'enfant et leurs cauchemars sont pleins de monstres "qui vous mangent tout cru". C'est cash!
    Ils sont déjà préparés à cette violence absurde de la nature. Ce sont les adultes qui n'y sont plus habitués à force de vivre dans une société qui garantit la paix et la sécurité (le léviathan, Hobbes).
    Les peurs des enfants est plus terre à terre : peur de perdre maman, peur de perdre papa, maman est triste...

    Je trouve mignon qu'un attentat atroce se résume par "si on met ton dessin sur le frigo, il se peut que ça attire les terroristes". :D

    A l'époque des croisades -beurk!- il y avait une figure de croque-mitaine barbu inspiré de la figure du turc, mais son nom ne me revient pas. Bref, on n'a rien inventé.

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  2. Tu me pardonneras, mais ton commentaire me semble totalement à côté de la plaque.

    Un accident, par définition, c'est accidentel. Pas intentionnel. La différence est énorme, c'est celle entre le danger et le mal. Ce n'est pas la "violence de la nature", justement.

    Les calculs de probabilité, à quatre ans et demi, ce n'est pas très parlant. Dire "il y a plus de chance de mourir dans un accident de voiture que tué par un terroriste" est par ailleurs le meilleur moyen de faire en sorte qu'il ait peur aussi en voiture.

    Et je ne trouve vraiment rien, mais vraiment vraiment RIEN de mignon au fait qu'un petit bout de chou se demande si on peut se faire tuer pour avoir fait un dessin moche. Il y a plutôt de quoi en pleurer.

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    1. J'avais mal compris.

      Je pensais que tu te demandais comment tu allais leur expliquer ce qui c'était passé sans les angoisser.
      Alors qu'en fait le gamin était déjà super angoissé. Il avait retourné la chose déjà plein de fois dans sa tête, le pauvre chou. En plus il a des images bien précises de la menace : pistolet, mort, se défendre, ce n'est plus aussi virtuel qu'un croque-mitaine. C'est vâchement chiant à désamorcer.

      En plus tu places l'éthique très haut. Même moi qui suis prêt à ruser pour d'abord rassurer, puis accessoirement expliquer, j'aurais été pris de court.
      Et je crois que ton message témoigne de ça : la fatalité que tu as ressenti en réalisant que ton gamin traquait déjà, et que tu n'avais pas les mots.

      Faire diversion en disant que les manifestations rendaient la sortie trop compliquée : c'est faisable.
      Expliquer qu'il y a des fous, qu'il y a eu des morts, et des gens tristent et mécontents dans la rue : aussi.
      Avoir l'a propos de sortir "toi tu n'es pas connu, personne ne sais où tu habites, tu ne risque rien" : c'est rare d'avoir autant de répondant.
      Et puis c'est faux. Les professeurs ont du laissé tranpirer que les enfants, même anonyme, pouvait être la cible de terroristes (les écoliers juifs morts durant un assault).
      C'est un principe de précaution, une réaction disproportionnée par rapport à la probabilité du risque.

      En effet va expliquer ça à un gamin, sans donner d'exemple anxiogène, sans parler de la mort, et pour que l'enfant soit plus sage que la psychose ambiante!
      Je me mets à ta place. En tant normal c'est déjà difficile de parler de terrorisme. On tire un fil et tout vient avec (la politique, la religion, la guerre ailleurs, la violence ici).
      Et c'est difficile de mettre en garde les enfants contre les pédophiles (ma mère parlait de "fous qui torturent les enfants", d'une façon qui échappe aux mots, le tout assorti des recommandations d'usage).

      Une fois que tu lui as demandé ce qui le tracasse, je crois qu'il faut arrondir les chiffres et dire "Ca n'arrive jamais. Tu ne risques rien. Tes professeurs sont obligés d'être prudent. La prudence c'est quand il faut faire attention, même quand le danger n'est pas là." Et si il parle des dessinateurs, dire qu'ils n'ont vraiment pas eu de chance. D'ailleurs même si ils avaient eu peur, ça n'aurait rien changer, des fois on n'a juste pas de chance.
      Le tout en le prenant dans tes bras, pour que la chaleur des propos soit ton-sur-ton avec ton langage corporel. Tu peux enchaîner sur une diversion : oh du gâteau, une voisine qui a une portée de chaton, etc. Une information chasse l'autre, même chez les enfants.
      La prochaine fois qu'il sera triste il va y repenser (la mémoire réassortit les souvenirs qui vont avec notre humeur du moment), ce sera le moment de passer la deuxième couche.

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  3. Pourquoi ne pas simplement dire que c'est des histoires de grandes personnes, et qu'il comprendra ça plus tard quand il sera grand, mais que là où il est, il n'a rien à craindre et personne ne viendra lui faire du mal, ni à sa famille, ni à ses copains? C'est ce que j'ai dit à mes petits-fils de 6 et 3 ans, sans parler de dessins ni de rien d'autre, et ils ont semblé s'en contenter avec soulagement. Et puis, ils ont des policiers Play-mobil, alors...
    A part ça, pour avoir autre chose que le main-stream du Monde, je lis les-crises.fr, que je vous conseille vivement.

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    1. Pour deux raisons : d'abord, parce que je réponds toujours quand un enfant me pose une question (j'aurais détesté qu'on me dise "ce sont des histoires de grandes personnes" quand j'étais petite, donc je ne le dis jamais à mes enfants) ; et ensuite, parce qu'il fallait bien justifier cette interdiction d'aller à la bibliothèque avec sa classe...

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  4. Je suis entièrement d'accord avec Fofo. Si certains enfants ne se montrent pas plus inquiets que ça, ni concernés, inutile de les affoler. Mais s'il y en a qui, comme le fils de Fofo, angoissent, je trouve justifié de lui expliquer les choses comme elle l'a fait. Et comme je l'ai fait. Le mien a huit ans, il psychote beaucoup. ET moi non plus, je ne me résouds pas à lui dire que ce sont des histoires de grands. Parce que si un dingue entre dans son école et tire sur ses camarades de classe comme ça s'est déjà vu plus d'une fois, c'est fort concrètement une histoire
    qui les concerne directement. Et aussi parce qu'il veut comprendre. Alors tout simplement j'essaie de lui expliquer.

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  5. Il est "mignon" dans sa logique le petit bout, ou plutôt il est "touchant" car finalement, au delà de tous les discours, la vérité sort de la bouche des enfants : oui des méchants peuvent nous faire du mal pour n'importe quel motif, parce qu'ils trouvent tout mal. Mais c'est bien difficile déjà d'admettre cela, donc le dire à un môme!!!
    Et hélas, ce n'est pas qu'une histoire de grands, alors que faire? Le rassurer en lui disant que si la sortie à la bibliothèque est annulée cette-fois, c'est bien parce que ses enseignants veillent sur eux, sur leur sécurité? Lui dire que concrètement ces méchants-là ont été tués par la police (et au passage il aura bien conscience que qui tue par l'épée périra par l'épée, je repense à sa réaction d'acheter un pistolet pour se protéger)? Lui dire qu'il y a des méchants, mais à côté il y a aussi plein de gens qui l'aiment?
    Et surtout, qu'il fasse plein de dessins, tant qu'il veut, même moches (qu'est-ce que tu appelles un dessin moche, s'il te plaît)!!!

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  6. Je suis d'accord pour expliquer, mais seulement si l'enfant peut comprendre! En quoi faut-il l'inquiéter de la possibilité qu'un dingo rentre dans son école et tire sur tout le monde? Sera-t'il mieux préparé si cela devait réellement se produire, sachant que la probabilité est quand même faible? Devrait-on aussi lui parler des météorites qui risquent de s'écraser sur terre en décimant la moitié de l'humanité?
    Oui, il y a des méchants, oui il y a des dangers, mais il faut éviter de transmettre nos propres angoisses en en faisant tout un plat. Même s'ils demandent, ils n'ont pas forcément envie de savoir vraiment les choses, mais souvent plutôt d'être seulement rassurés. Bien sûr tout dépend de l'âge, et de l'enfant!

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    1. Comprendre ? Parce que vous, Catherine Eva, vous comprenez qu'on puisse prendre sa kalach et aller flinguer des êtres humains ? C'est normal, mon p'tit chat, tu comprendras quand tu seras grand ?
      Fofo parle de dire l'indicible et d'accepter l'inacceptable. Je pense qu'on peut dire et qu'il n'y a pas à accepter. Parce que ça reste incompréhensible.
      Je suis un peu affolée par cette idée qu'il faut cacher les choses aux enfants pour les protéger. Epargner les détails et les images, OK, mais esquiver et passer à autre chose, ça me paraît tout aussi générateur d'angoisse chez un enfant, même très jeune.

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    2. Bien sûr je comprends la rage et le désespoir! Ce n'est pas parce que vous, vous ne comprenez pas que c'est incompréhensible. Comme dit Ficelleforever, comprendre ne veut pas dire justifier, accepter ou excuser. Il y a toujours une raison aux choses, on ne naît pas terroriste, on le devient. Lisez-vous les-crises.fr? Je vous le conseille.
      Mais il ne sert à rien de donner à un enfant des explications qu'il n'est tout simplement pas capable de comprendre sans s'affoler encore plus. Ce n'est pas pour rien que c'est un enfant! Laissons-lui son enfance, sa confiance, rassurons-le, c'est tout.

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    3. Bonjour,
      Deux fois la pub d'un blog d'opinion sous le même billet, c'est un peu beaucoup, non ? Surtout sachant qu'il réclame des traductions bénévoles par des amateurs, sur un blog de traductrice professionnelle, c'est un peu malvenu...

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    4. Du coup je viens d'aller voir ce blog que je ne connaissais pas, et... disons que ce n'est pas ma tasse de thé. Je crois vraiment que je préfère Le Monde.

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    5. Oups, sorry, deux pubs dans deux posts, c'est lourd effectivement, je n'avais pas relu mon premier post. Mille pardons!
      Les traductions bénévoles demandées parfois sur ce blog n'ont évidemment rien à voir avec le travail d'orfèvre de Fofo. On ne demande pas à ceux qui les réalisent de montrer patte blanche, mais le principe de la traduction collaborative étant une relecture des uns par les autres, on aboutit à des traductions de bonne qualité, réalisées rapidement pour permettre aux lecteurs du blog de lire des articles de presse étrangère. J'ai moi-même un diplôme de traductrice, même si ce n'est pas mon métier, j'y participe parfois et je n'ai pas remarqué d'amateurisme.
      Je trouve hélas que depuis quelque temps, le Monde est devenu tellement politiquement correct qu'il en est insipide et finalement peu informatif, ce qui est quand même le comble pour un journal. Et puis ne faut-il pas des thèses et des antithèses pour se faire sa propre synthèse dans cette actualité si complexe? Tout cela m'a incitée à aller voir ailleurs. Vous préférerez peut-être en anglais:
      vineyardsaker.blogspot.com/
      ou
      www.paulcraigroberts.org/
      ou encore
      http://www.washingtonsblog.com/
      Je lis souvent et avec plaisir vos instantanés familiaux ou professionnels, pleins de tendresse et d'humour, merci!

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  7. Attention, comprendre, ça ne veut pas dire justifier, accepter, excuser. Et on ne s'adressera pas de la même manière à un petit, un moins petit, un ado etc...puis ça dépendra aussi de sa sensibilité, un ado peut avoir suffisamment d'intellect pour décrypter les choses mais être hyper sensible et vulnérable.
    Bref, c'est pas facile. Mais c'est mieux si ça vient de Fofo plutôt qu'il entende tout et n'importe quoi à l'école ou au supermarché, car on voudrait qu'ils soient épargnés, mais ils perçoivent forcément des choses

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  8. Je pense en effet qu'il valait mieux que ce soit moi qui lui en parle, surtout qu'il a forcément perçu l'atmosphère d'angoisse et de tristesse de ces derniers jours, sans même parler des commentaires de la cour de récré. D'ailleurs, il a sauté sur l'occasion pour me poser des questions, ce qui prouve qu'il en avait besoin.

    En fin de compte, savoir que ces terroristes-là étaient morts l'a rassuré, tout comme l'idée que les policiers étaient armés, eux aussi. Même si l'interdiction d'aller à la bibliothèque n'est pas levée...

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