jeudi 7 juillet 2016

Comment je n'ai pas échappé aux Bleus

Je n'aime pas trop le foot, en tous cas pas le foot qu'on regarde à la télévision, et surtout pas celui qui fait intervenir des équipes "nationales". Et pas seulement parce que ces équipes représentent encore moins la nation que le faisait autrefois le "suffrage universel masculin" ("Comme si les femmes ne faisaient par partie de l'univers", avait remarqué un de mes profs, mais je m'égare). Je n'ai pas du tout envie de lancer une polémique, mais j'ai un peu de mal à voir la différence entre le patriotisme et le nationalisme, et beaucoup de mal à voir la différence entre "je préfère les Français" et "J'aime moins les étrangers". Je sais, je sais que l'immense majorité des spectateurs de foot, y compris parmi ceux qui soutiennent "leur" équipe, sont à mille lieues d'être xénophobes. N'empêche, la nuance m’échappe.

Bref, ce midi, j'ai annoncé que j'allais essayer d'échapper à la demi-finale.
— Ah, toi aussi, tous ces "Allez les bleus", ça t'agace ? a lancé mon père adoptif qui, provenant d'un pays neutre, a un peu de mal à s'échauffer pour tout cela (voir ici l'hilarante explication de Zep)
— C'est qui, les bleus ? a demandé le Grand.

La dernière fois, j'étais allée au théâtre ; cette fois, j'ai opté pour le cinéma ? Il y avait un film qui avait l'air intéressant à 20h. Mais à 19h10, juste avant de partir, je me rends compte qu'il y a un film qui a l'air encore plus intéressant à 19h50, à 8 km d'ici. En pédalant très très vite, je peux sans doute y arriver...
A 19h45, je pénètre dans le cinéma, à la fois très fière de moi, dégoulinante de sueur, rouge comme une tomate, et un peu inquiète à l'idée que s'il faut faire la queue dix minutes pour prendre mon billet comme c'est souvent le cas, je risque de rater les publicités, et ce serait dommage, car je n'en vois pas souvent. Naïve que je suis. Je n'ai jamais vu un multiplexe aussi vide.
— Il n'y a pas grand-monde, je me demande pourquoi ? ai-je demandé au monsieur qui vendait les billets.
Il n'a pas même souri. Soit c'est le fils du patron, soit il avait demandé sa soirée pour regarder le match comme les autres et il a eu la courte paille.

Dans la salle, sept personnes en tout. Dont un homme. J'ai eu envie de lui proposer séance tenante (c'est le cas de le dire) de m'épouser, mais il était avec une femme, et je n'étais pas complètement sûre que ce soit sa sœur.

J'ai donc vu Love and Friendship. Ma mère et Télérama avaient aimé, donc j'étais assez confiante. J'avais raison, c'est super. Je me suis rappelée seulement au moment où le générique commençait qu'en théorie, j'évitais les adaptations, mais je me suis consolée en me rappelant que je n'avais pas lu le bouquin. Je me suis régalée. Et j'ai été très contente que le personnage principal ne soit pas "puni" à la fin. J'avais très peur pour cette femme sournoise et manipulatrice, qui ne fait en réalité qu'utiliser les seules armes à sa portée à l'époque de Jane Austen. Et puis elle est si belle, et elle parle si bien (j'ai très vite arrêté de lire les sous-titre pour profiter de la diction magnifique des acteurs), et elle est si intelligente ! J'en suis tombée raide amoureuse, moi aussi...

Je suis donc sortie avec un grand sourire. Mais j'ai vite compris que le film n'avait pas duré assez longtemps. Du monde partout, des voiture garées n'importe où, sur des passages piétons et des pistes cyclables (non mais il faut comprendre, ces gens-là avaient sans doute impérativement besoin d'utiliser leur voiture ce soir : ils habitent loin, n'ont pas de télévision, et ont la phobie des transports en commun et des vélos, donc ils sont venus en voiture parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement, les pauvres, et ils sont trop pauvres pour payer une place dans un parking souterrain payant, et ils ne vont pas boire une goutte de bière parce qu'ils savent qu'il faut être sobre pour conduire). La barbe.
J'ai voulu m'enfuir tout de suite, mais j'étais partie si vite que je n'avais rien pris à manger (c'est tout dire) et  j'avais vraiment trop faim pour refaire le trajet dans l'autre sens sans auparavant consommer un peu de carburant. J'ai donc évité très soigneusement les bars et pubs et je suis entrée dans un fast-food écolo que j'avais repéré précédemment, non sans avoir d'abord bien vérifié qu'il n'y avait aucun écran à l'intérieur. Mais au moment où j'ai payé mon bol de Waterzooi et ma tarte aux figues bio (véridique) (j'adore), j'ai compris l'astuce : les serveurs avaient planqué un ordinateur derrière la caisse, et à chaque fois qu'ils entendaient une clameur s'élever dans la rue, ils lâchaient tout pour aller voir ce qui se passait.
— Et dire que je suis entrée ici parce que je pensais que c'était un endroit garanti sans OGM et sans football ! me suis-je lamentée.
— Ne vous inquiétez pas, vous ne le verrez pas, a promis le caissier. Mais vous savez, le jeu, c'est l'opium du peuple... [Sic]. Il faut bien se divertir !
— Ben moi, pour me divertir, je suis allée voir un film, et contrairement à vous, j'avais 100% de chances d'en ressortir de bonne humeur, pas 50% !
Il a ri. Et puis il m'a tendu la facturette très vite, parce que les gens du pub d'à côté avaient fait "Ooh !", et il est allé coller le nez à son écran.

Après ce dîner frugal mais exquis, je suis rentrée en pédalant joyeusement dans le crépuscule par une petite route très tranquille où, pour la première fois de ma vie, j'ai croisé plus de femmes que d'hommes (c'est là qu'on se rend soudain compte à quel point la nuit est encore un domaine très masculin). Avant d'arriver au bout, j'ai entendu une fanfare de klaxons, et des cris. Et puis des sirènes, plein de sirènes. Je me suis demandé, incrédule, si des ambulanciers avaient eu cette idée ahurissante de participer ainsi à la liesse générale, avant de comprendre que c'étaient sans doute des flics qui se précipitaient dans un coin où des crétins avaient voulu fêter leur (?) victoire en cassant quelque chose, ou en tapant sur un Allemand qui passait par là, ou quelque chose du genre. Juste avant d'arriver à la maison, je suis passée sous des immeubles au rez-de-chaussée duquel des gamins braillaient à tue-tête "Vive la France" sous l’œil bienveillant de leurs parents. J'ai voulu leur crier "Et les Français qui dorment, ils ont le droit de vivre, eux aussi ?", mais comme j'allais assez vite, j'étais déjà trop loin.

Et puis je suis arrivée à la maison, et j'ai trouvé Darling de fort mauvaise humeur qui m'a dit "Pff, ce n'était pas mérité, l'équipe allemande a dominé toute la partie".


Bon. Voyons le bon côté des choses : j'ai un excellent prétexte pour retourner au cinéma dimanche. Et cette fois, je choisirai un film plus long...

11 commentaires:

  1. De manière générale, on ne trouvera pas beaucoup d'hommes à la séance de Love et Friendship (Lady Susan). Je peux te garantir que c'était sa femme car aucun homme n'aurait "sacrifié" sa soirée, match ou pas, pour accompagner sa frangine au cinéma.
    Kate Beckinsale est anglaise, par contre Chloé Sevigny est américaine, ça se sent dans les accents?
    Pour moi soirée concert dans un bar gay/trans/queer...très peu branché foot...

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    1. J'ai dû aller regarder qui était Chloé Sevigny... mais oui, elle est américaine, et ça tombe bien, parce qu'elle est censée l'être ! J'aime beaucoup son rôle, d'ailleurs. Et on comprend tout de même très bien ce qu'elle dit. (Mais... serait-il possible que tu n'aies pas vu ce film ?)

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    2. Ah bon? Il y a une américaine dans Lady Susan? J'ai mal écouté le livre audio, alors!
      Je n'ai pas encore vu le film, j'ai appâté Fab.pour qu'il vienne en lui disant que l'héroïne, c'est la "bombasse de Underworld", et que Chloé a fait une vraie fellation (mais pas dans ce film. Comment ça "déloyal"?).
      J'aime pas voir un film toute seule, parce qu'après j'aime causer.

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    3. Du coup je viens de lire le début et la fin du bouquin, pour voir... L'Américaine du film est la meilleure amie de Lady Susan, Alicia Johnson. J'imagine que ce choix a été fait pour cause d'accent, mais ça cadre assez bien avec le personnage peu bégueule qu'elle joue.

      Il faut que tu voies ce film, tu vas adorer ! La fin est particulièrement savoureuse, encore plus que dans le bouquin, d'après ce que je viens de lire.

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  2. Moi aussi, j'espère qu'il y aura un film intéressant au cinéma du coin dimanche ! Mais j'ai les mêmes craintes pour l'ambiance à la sortie : si les Bleus gagnent, ça va être le boxon pour retourner à la voiture (désolée, je ne fais pas mes 8 km jusqu'au cinéma à vélo…) ! Et quand je vois qu'hier, même dans mon patelin de 300 habitants, il y a eu des klaxons 1/2h après la fin du match, je « pire le crains » pour dimanche soir.

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  3. Hier soir il y avait une projection du match sur grand écran à la salle culturelle du village ; c'était l'occasion de voir les copains, j'ai passé une excellente soirée à l'extérieur de la salle (en entendant des "oooouuuuuaaaiis" de temps à autre) et je n'ai pas vu une minute du match ! Rebelote dimanche soir, du coup...
    Mais j'avoue avoir affiché sans vergogne mon désir que les Bleus perdent, pour qu'on arrête de nous saouler avec cet Euro à la noix ! Je ne comprends pas du tout l'engouement que suscite ce genre d'événement. Et notez bien la nuance subtile entre les "On a gagné" mais "Ils ont perdu", en parlant de l'équipe de France...

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  4. Pour la différence entre patriotisme et nationalisme, que personnellement j'ai aussi du mal à faire, il y a une explication assez claire et convaincante dans cet article (pas au début):
    https://www.les-crises.fr/virer-les-elites-par-dmitry-orlov/
    Vivement que ce soit terminé ce foot!

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    1. Bof. Non, je ne suis pas convaincue. Bien sûr, on s'intéresse plus à ceux qu'on connaît qu'à ceux qu'on ne connaît pas, donc à sa famille et à ses amis qu'au reste du monde. Mais je ne vois pas pourquoi je préférerais un Français inconnu à un "étranger" inconnu - qu'il soit joueur de foot ou non.

      Et en toute franchise, je me méfie beaucoup de ce site internet (je crois qu'on en avait déjà parlé sur ce blog).

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  5. La scène se passe chez H&M
    Trois jeunes enfants (dont deux jumeaux de 6 ans) et leur grand mère, qui font les soldes dans un magasin désert et délicieusement climatisé (on est en Provence, il fait 36°)
    Le garçon : "Je peux avoir un t-shirt de footballeur ?"
    La grand-mère : "Je ne suis pas sûre que ta mère soit d'accord !" (cf ci-dessus)
    "S'il te plaît, dis oui ! regarde, celui-là, il est beau ! (t-shirt rouge de la Belgique)"
    "Tu sais, c'est le t-shirt de la Belgique, ils ont perdu"
    "C'est pas grave s'ils ont perdu, ils ont un beau t-shirt, et moi, je préfère un beau t-shirt de ceux qui perdent qu'un t-shirt qui me plaît pas de ceux qui gagnent."
    Face à tant de tolérance et de bon sens, la grand-mère a cédé
    Et voilà comment Mr Thing Two va rentrer chez lui et affronter une mère anti football et un père pro Allemagne avec un beau T-shirt rouge belge.
    Espérons que ses parents feront preuve de la même grande tolérance !!)

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    1. Ha ha ha ! Bon, disons que justement, si ce n'est pas un T-shirt de l'équipe de France ou d'Allemagne ou d'Italie, ce sera beaucoup plus facilement accepté que si ça ressemblait à une revendication patriotique...

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    2. Que le jeune Diable rouge appelle ça un T-shirt, ça se comprend, mais signalez-lui quand même que c'est un maillot, histoire qu'il s'évite quelques pff de ses camarades de classe...

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