mardi 3 janvier 2012

Treize à la douzaine

C'est peut-être ce livre-là qui m'a donné l'envie de fonder une grande famille : Treize à la douzaine (Cheaper by the dozen), de Frank et Ernestine Gilbreth. Mon édition était celle de Folio Junior (Gallimard), dans une traduction de J.N. Faure-Biguet et avec des illustrations de Roland Sabatier.
Si je devais emporter dix romans jeunesse sur une île déserte, il en ferait sûrement partie. J'ai dû le lire au moins quinze ou vingt fois, plus deux ou trois fois en anglais à l'âge adulte. Cela raconte, à coup d'anecdotes, l'histoire vraie de Frank et Lillian Gilbreth, tous deux ingénieurs de l'étude du mouvement, qui ont eu douze enfants entre 1904 et 1922 et ont testé sur eux leurs méthodes d'économie de temps, à l'époque de l'invention du fordisme. C'est ainsi que les enfants Gilbreth devaient écouter des enregistrement de langues étrangères tout en se lavant, pour ne pas perdre une minute, et que leur père les a filmés en train d'être opérés des amygdales à la chaîne pour rationaliser les gestes du personnel médical...

En bonne cartésienne, cependant, deux points m'ont toujours chiffonnée dans ce livre :
- Tout d'abord, le fait que la narration soit faite à la première personne du pluriel sans qu'il y ait un narrateur principal : les enfants parlent d'eux en disant "nous"; mais chaque enfant est individuellement nommé à la troisième personne du singulier, y compris Frank et Ernestine, les deux auteurs. Même petite, je trouvais que ce "nous" sans "je" était une véritable aberration grammaticale.
- Ensuite, le fait que la seconde fille, Mary, ne soit jamais nommée en dehors du chapitre qui raconte les naissances par ordre chronologique : partout ailleurs dans le livre, Ann et Ernestine sont considérées comme les deux aînées, alors qu'Ernestine n'était que la troisième. Ce n'est que bien plus tard que j'ai appris que Mary était morte à l'âge de six ans – ce qui signifie, techniquement, qu'il n'y a jamais eu "une douzaine" d'enfants en même temps dans la maison, puisque Mary est décédée bien avant la naissance des derniers. Cela m'a fait l'effet d'une véritable imposture !

Mais ce ne sont là que des détails. Ce qui est important, c'est que ces mémoires sont très bien écrites, drôles, vivant, et émouvantes (je n'ai pas pu raconter au Grand l'histoire de Lill qui repeint la clôture sans avoir les larmes aux yeux)... Bref, je recommande très, très, très chaudement ce bouquin à ceux qui ne le connaissent pas, même s'ils n'ont pas l'intention d'avoir une famille nombreuse !

À noter qu'il existe une suite que je n'ai découverte qu'adulte et lue qu'en anglais : Belles on their toes, en français Six filles à marier (ci-joint chez le Livre de poche, dans une traduction d'Hélène Commin), titre très mal choisi puisqu'il est à peine question de mariages et surtout puisque les filles ne sont que cinq. Vu l'âge auquel je l'ai lu, il n'a pas eu le même impact sur moi que le premier, mais on y découvre avec plaisir la suite de la saga familiale après la mort prématurée du père (ah, la gestion de Martha, la troisième fille, qui réussit miraculeusement à équilibrer le budget, quitte à faire remplir un formulaire en trois exemplaires à tout membre de la famille désireux d'obtenir un timbre !), et on fait mieux connaissance avec la figure de la mère, une des toutes premières femmes à avoir atteint un tel niveau d'études et à avoir fait une carrière aussi brillante dans ce domaine – veuve, avec onze enfants... De quoi faire réfléchir ceux qui s'interrogent sur la possibilité de continuer à travailler quand on est mère de famille nombreuse !

Une dernière remarque : Treize à la douzaine a été retraduit à plusieurs reprises, et je suis tombée un jour, enfant, sur une autre édition (peut-être celle de la Bibliothèque Verte). Non seulement j'y ai découvert un chapitre qui n'existait pas dans mon édition Folio - j'ignore s'il a été réinséré depuis – mais surtout, c'est la toute première fois que j'ai compris que la traduction n'était pas une science exacte. Je me souviens en particulier de la "psychologue moustachue" que le destin livre aux enfants "pieds et poings liés" dans une des deux versions, et qui devient une psychologue livrée aux enfants "pieds, poings et moustaches liés" dans l'autre. Relire l'histoire avec d'autres mots, dans un style légèrement différent, m'a été à l'époque insupportable, et je suis retournée bien vite à ma propre édition !


Post-scriptum : Suite à un commentaire, je répare un oubli : comme presque tous les bons romans, celui-ci a été adapté en film. Je ne l'ai pas vu, mais je sais que l'histoire est complètement différente, ainsi que l'époque et les personnages, dont même les noms ont été changés. En gros, seul le titre a été repris ; le reste n'a rien à voir.


6 commentaires:

  1. Je découvre ton blog... et le livre culte de mon adolescence. Je le relis volontiers de temps en temps.
    J'avoue que le nous ne m'a jamais choquée, mais j'ignorais que Mary fut décédée si jeune. C'est toi qui me l'apprends. Mais entre 11 et 12, y a-t-il une si grand différence de gestion ? Pour avoir 6 anfants, je trouve que le plus dur est de passer de 1 à 2...

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  2. Et passer de un à trois, donc !

    Même enfant, je me doutais qu'il était arrivé quelque chose à Mary : c'était la seule explication possible au fait qu'elle soit ainsi passée sous silence. J'ai appris qu'elle était morte dans une petite note de bas de page de Six filles à marier : je pense que je n'ai pas dû être la seule à me poser la question, et que les auteurs ont donc décidé d'éclaircir ce point. Bien sûr que onze ou douze, ce n'est pas très différent, mais la grande réplique du père quand on lui demande pourquoi il a tant d'enfants, "Ça revient moins cher à la douzaine", perd une partie de son sens si les enfants n'ont jamais été douze ! Enfin, encore une fois, ce n'est qu'un détail, et ça n'ôte rien à la valeur de ce livre.

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  3. Oh, tu me donnes envie de lire ce livre! Enfant, j'avais un amis qui adorait ce roman au point de le relire plusieurs fois par ans... Je me souviens avoir voulu essayer, à l'époque, mais je n'ai jamais eu l'occasion. Puis il y a quelques années, j'ai découvert l'adaptation cinéma, que j'ai trouvé affreuse! Alors que le film n'est qu'un teen-movie fadasse, la présentation que tu fais du roman est beaucoup plus alléchante! Je vais peut-être bien me laisser tenter... ;)

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  4. Merci, Pedro, tu me rappelles que je voulais dire un petit mot sur le film, qui n'a rien à voir (mais vraiment rien du tout, ce n'est même pas une adaptation libre et lointaine) avec le roman. Oublié réparé.

    N'hésite pas à le lire. Je m'engage même à te rembourser le bouquin s'il ne te plaît pas, tellement je suis sûre de mon coup !

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  5. En matière de livres, je te fais entièrement confiance! ;)

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  6. Bonjour, depuis quelques jours, je découvre et lis tout votre blog, merci pour l'écriture !
    Mais alors, quand je découvre votre texte sur 13 à la douzaine et 6 filles à marier, que j'ai lu un nombre incalculable de fois, voilà qui fait mon bonheur pour tout le week-end !
    Magmag34080

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