jeudi 9 janvier 2014

Un dragueur

8h45. Je reviens de l'école. Un homme entre trente et quarante ans, qui a garé sa voiture en face de chez moi, m'interpelle :
— Excusez-moi, vous pouvez me dire le nom de la rue ?
— Heu, oui, c'est la rue Chémoi.
Il sort un plan de sa poche et commence à chercher. Je l'aide :
— Regardez, c'est ici.
— Et ça ?
— Ça, c'est le boulevard des Bagnoles, juste là.
— Et pour aller ici, comment faut-il faire ? C'est loin ?
— Eh bien, vous prenez tout de suite à gauche sur le boulevard. Mais si vous y allez en voiture, il faut d'abord que vous alliez à droite et que vous fassiez demi-tour au carrefour. Il y en a pour cinq...
Il m'interrompt :
— Vous êtes une femme très belle.
— ...
— En fait je vous ai demandé ces renseignements juste parce que j'avais envie de parler avec vous. Vous êtes vraiment très belle.
Il est charmant, pas du tout agressif ou inquiétant, mais je suis prise de court. Ça faisait quelques années que ça ne m'était plus arrivé (depuis que je me balade sans cesse avec des gamins dans les pattes, peut-être ?).
— Heu... merci... Je disais donc qu'il y en a pour cinq minutes, ce n'est pas loin du tout...
Visiblement, il s'en fiche. Il ne m'écoute plus :
— Vous êtes mariée ?
— Eh oui, désolée !
— Je ne vous crois pas, conteste-t-il en souriant. Vous n'avez pas d'alliance.
Ça me rappelle une conversation que j'ai eue récemment avec une amie, qui soulignait à juste titre l'absurdité de ces polars où un flic décrète, après avoir examiné un cadavre : "Ah, il est célibataire, puisqu'il n'a pas d'alliance, donc personne ne l'attend chez lui".
— N'empêche que je suis mariée, ou tout comme, et j'ai quatre enfants !
En théorie, tout homme normalement constitué devrait prendre ses jambes à son cou, à ce stade, non ? Surtout que je viens d'entrer dans une grande maison où il est évident que je ne vis pas seule. Mais il insiste, plein d'espoir :
— Vous êtes divorcée, alors ?
— Non, pas du tout ! Et maintenant, si vous voulez bien m'excuser...
— Mais je veux vous revoir ! Je peux vous donner mon numéro de téléphone ?
— Pas la peine. Bonne journée !
— Si, si, on ne sait jamais ! C'est le 06...
Quand je suis entrée dans ma maison, il était encore en train de me crier des nombres à travers la grille du portail.


J'ai raconté l'histoire à Darling en prenant mon petit déjeuner. Il s'est inquiété aussitôt :
— Et il était vieux ? Moche ? Ou...
— Non non, il était normal, et il avait à peu près mon âge. Peut-être pas d'un niveau socio-culturel très élevé, cela dit.
(Oui, je suis snob, je sais. Je suis abonnée à Télérama, vous comprenez.)
 — Ah ! dit Darling. Il va falloir qu'il s'achète des lunettes.
J'en suis restée comme deux ronds de flanc. Darling a des défaut, mais normalement la goujaterie n'en fait pas partie, et il a toujours soutenu que j'étais très belle (quoique très mal fringuée). Est-il réellement en train de me dire que si ce dragueur avait porté des lunettes, il ne m'aurait pas fait du gringue ?
Il remarque mon air éberlué, réfléchit à ce qu'il vient de dire, puis se récrie brusquement :
— Ah, mais non, mais non, ce n'est pas ce que je voulais dire ! Je voulais juste dire qu'il devrait mettre des lunettes pour avoir l'air d'un intello !
Ah, bon. Tant mieux. Parce que j'étais à deux doigts de ressortir demander au monsieur s'il voulait bien me dicter à nouveau son numéro de téléphone...

2 commentaires:

  1. Hmm, entre le dragueur et le Darling, y a des hommes qui ont pas très bien joué leur coup, là.
    Pour les enfants, ça doit éveiller l'instinct paternel chez certains (?) Par exemple, ma cousine ne s'est jamais fait autant aborder/draguer que quand elle était enceinte.

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  2. Moi je ne veux pas mettre de l'huile sur le feu, et je suis plutôt pour la paix des ménages, mais je ferais quand même remarquer que sa première réaction c'est : "ah bon il te fait du rentre-dedans? Il est donc vieux ou moche?"

    Je dis ça, je ne dis rien...

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