lundi 14 mars 2016

Des Américains qui vont bon train



Normalement, je ne suis vraiment pas douée pour reconnaître les accents, mais celui-là était si prononcé que dès que le monsieur a ouvert la bouche, j’ai compris que ce couple métis d’âge moyen qui prenait le même train que moi venait des États-Unis. Un autre indice qui ne trompe pas : ils m’ont adressé la parole en anglais, le plus naturellement du monde, sans même me demander si je le comprenais. Syndrome du pays conquérant. Mais surtout, c’est ce qu'ils m’ont demandé qui m’a paru curieux :
— Excusez-moi, c’est bien le train qui va à Milan ?
— Oui, bien sûr.
— Ah ! Parce qu’il y avait une erreur sur le tableau d’affichage.
— Ah bon ? Je n’ai pas remarqué.
— Si, il y avait écrit que ce train allait à Venise.
— Ben oui, c’est le cas. Mais il s’arrête dans d’autres gares sur le chemin, dont Milan.
— Ah, d’accord ! C’est la destination finale qui est affichée !

J’ai trouvé ça assez étonnant qu’ils ne le sachent pas. Mon étonnement a redoublé quelques instants plus tard : ils sont entrés dans le train, puis ils ont dû être incapables de trouver leurs places, car ils ont voulu rebrousser chemin avec leurs grosses valises. Énorme embouteillage dans le couloir et jusque sur le quai. Plus personne n’a pu bouger pendant cinq minutes. Le conducteur a même dû intervenir :
— S’il vous plaît, entrez dans n’importe quel compartiment et laissez passer les gens, parce que sinon on y sera encore demain !
Il se trouve qu’ils étaient dans le même compartiment que moi. Un train de nuit (l’un des tout derniers en circulation, hélas, trois fois hélas). Ils ont regardé autour d’eux d’un air perdu, et ont examiné leur billet pour essayer de repérer leur numéro de place. C’est moi qui ai dû le leur indiquer.

La nuit s’est mal passée. À une heure et quelques du matin, le monsieur, peut-être encore sous le coup du décalage horaire, s’est levé et a bavardé deux minutes avec sa femme, à voix haute. Puis il est sorti dans le couloir. Puis il a rouvert la porte pour lui dire quelque chose. Puis il l’a refermée. Puis il l’a rouverte. La troisième fois, je lui ai demandé gentiment :
— Excusez-moi, mais si vous continuez à faire ça, je ne vais pas pouvoir dormir, et je pense que les trois autres personnes non plus…
— Oh ! Pardon, excusez-moi !
Visiblement, il n’y avait pas pensé.

La nuit, outre que courte (le contrôleur nous a rapporté nos papiers d’identité, confisqués pour passer la douane, à cinq heures du matin, pour une arrivée à 5h45) a été mauvaise (trop chaud, trop d’arrêts) (pas grave, j’aime être allongée dans le noir du compartiment même quand je ne dors pas). Quand nous avons tous débarqué à Milan, j’ai fait un tour rapide de la gare pour constater qu’aucun café  n’était encore ouvert, ce qui ne m’a pas vraiment étonnée. En revenant sur mes pas, j’ai rencontré mes Américains qui m’ont encore abordée :
— Pardon, mais où devons-nous aller, maintenant ?
— Vous avez une correspondance ?
Ils m’ont mis leur billet sous le nez.
— Ah oui, votre train suivant part à 7h. Eh bien, il ne vous reste plus qu’à patienter. Vous pouvez toujours essayer de trouver un café ouvert autour de la gare, puisque vous avez le temps. Ou alors vous allez dans la salle d’attente.
— D’accord, donc on va attendre tranquillement à l’étage ?
« À l’étage ». J’ai levé les yeux. Certes, au-dessus de la verrière, le ciel était encore noir. Mais c’était sans l’ombre d’un doute une verrière. Et dans cette grande gare-terminus (vous voyez ce que je veux dire : celles que les trains ne peuvent pas traverser, il faut qu’ils fassent demi-tour, comme par exemple dans les gares parisiennes), il n’y avait pas d’étage. J’ai compris qu’ils se croyaient dans un aéroport.
C’est à ce moment-là que j’ai eu la quasi-certitude que ces deux personnes n’avaient sans doute jamais pris le train.

10 commentaires:

  1. Ah ça...
    Les américains et le train...
    Déjà, la géographique (hors US, et encore...) c'est pas leur fort (comment leur en vouloir de ne pas savoir que Milan, c'est sur le chemin de Paris à Venise !). C'est vrai quoi ! Comment saurais-je moi si Pittsburg est ou non sur la route de Cleveland, en partant de New-York ?
    Non, on parle juste de toutes petites villes qui ont au minimum 2000 ans d'histoire mais bon... Passons.
    Et oui, ils sont tellement habitués à prendre l'avion dès qu'il faut faire quelques km... et avec des monceaux de bagages !
    Et effectivement, ces trains de nuit (patience, il reviendrons...) sont souvent empruntés par des touristes anglo-saxons (US, mais aussi Canadien, Australiens, Néo-zélandais) mais aussi Chinois et Japonais, qui visitent l'Europe. Les tours opérateurs leur permettent ainsi de faire d'une pierre 3 coups : économie sur le prix du trajet (moins cher que l'avion), économie sur l'hôtel, et visite "au pas de charge" des principales villes d'Europe. C'est vrai quoi... Paris, en 24h, tu as vu tout ce qu'il fallait voir non ? ;)
    Heureusement, ils ne sont pas toujours aussi désagréables que dans cette description !

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  2. Le pire c'est qu'ils n'étaient pas vraiment désagréables. Le monsieur n'a d'ailleurs pas mal pris ma remarque. J'ai eu l'impression qu'il n'avait vraiment pas songé qu'il me gênait, comme il n'avait pas songé qu'il ne pouvait pas remonter le flux des voyageurs dans le couloir sans bloquer tout le monde. Comme s'il n'avait pas l'habitude de se mettre à la place des autres...

    Pour la géographie, hum, je peux difficilement leur jeter la pierre... Mais ne pas songer que le train continue peut-être après notre destination et ne pas vérifier les gares intermédiaires, c'est plus étonnant. Même le métro fonctionne comme ça !

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  3. Oui, ta phrase de conclusion est également un indice sur la nationalité. Quant aux arrêts avant destination, mêmes les avions sur les "domestic flights" fonctionnent comme ça là-bas, et pour le coup, ce sont les pauvres Européens qui peuvent se faire avoir en descendant avant le terminus (snif).

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    1. Non ? Vraiment ? Bigre, si jamais je voyage là-bas un jour, je ferai attention !

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    2. @4F: Non, les vols avec arrêts multiples sont désormais extrêmement rares en particulier aux USA sur les vols domestiques.
      La quasi-totalités des vols de toutes les compagnies US sont organisées selon le schéma suivant: liaisons point-à-point autour d'un ou plusieurs "Hub" puis liaisons entre "Hub" de la compagnie et éventuellement vers des "Hub" plus importants.
      Ainsi, le voyageurs aura la plupart du temps un vol court-courrier entre son aéroport régional et le Hub le plus proche,puis soit un vol vers sa destination finale, soit un vol vers le Hub le plus proche de sa destination finale et un dernier vol vers sa destination finale.
      C'est (malheureusement ou pas) l'organisation actuelle du transport aérien, particulièrement bien aboutit justement aux US.
      Il n'y a donc quasiment plus d'"escales" au sens initial du terme (escale technique ou commerciale: arrêt en court de vol sur un aéroport intermédiaire pour refueling ou pour prendre/déposer des passagers)
      J'ai cependant eu le cas récemment d'une "exception". Un vol en "triangle" de KLM de Amsterdam vers une première destination, puis une seconde à quelques centaines de km puis retour à Amsterdam. Avec dépose/montée de passager à chaque étapes et même changement du personnel de bord commercial à l'une et des pilotes à l'autre. Amusant...

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  4. Mais y'a pas vraiment de train, là-bas dans leur pays, les pôvres !
    J'imagine leurs têtes, tout de même, en arrivant à Milan, parce que ça ne ressemble pas, mais alors pas du tout à là d'où ils viennent.
    Et pour parler anglais, ce sera peut-être moins évident !
    Question : "shut up", c'est grossier ? (mon prof d'anglais, en sixième, nous le disait tout le temps...)

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    1. "Shut up", c'est un peu du même registre que "la ferme", mais en moins grossier, tout de même. Disons que tu ne le dirais pas à la reine d'Angleterre (sauf si tu es le prince consort, peut-être). Mais il n'y a pas des dizaines d'autres manières de dire "tais-toi", à part le très pudique "be quiet", donc oui, dans le cas d'un prof à ses élèves ou d'un parent à ses enfants (ou l'inverse !), c'est l'expression consacrée.
      (Ce n'est pas ce que j'ai dit à mon Américain, je te rassure, pas plus qu'on ne dirait "taisez-vous" à un parfait inconnu !)

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    2. Et je sais bien qu'il y a très peu de train là-bas, d'où ma conclusion !

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    3. "Hold your tongue" ;)

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  5. Ficelle for Ever16 mars 2016 à 09:29

    J'imagine que, même de mauvaise humeur, tu ne lui as pas lancé "piss off, you twat" depuis ta couchette.
    Sinon, les volumes de Milano Centrale, j'adooore!

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