vendredi 27 mars 2020

Sortie en vélo nocturne

Je suis sortie. J'avoue. C'est mon père adoptif qui m'a fourni une excellente excuse : il n'avait plus rien à manger. Enfin, plus rien de bon. Ou d'élaboré. Ou de varié. Bref, il avait absolument besoin de quelques tupperwares de lasagnes aux légumes, chili con carne, bœuf bourguignon, etc. Et quelques fruits frais en prime. C'est déjà dur d'être tout seul dans une maison quand on est ultra-sociable, alors si en plus on n'a pas des bons petits plats, c'est la déprime assurée, non ? Et si ça peut lui éviter d'aller au supermarché, il me semble que ça vaut le coup.

J'y suis donc allée hier soir, en vélo. Le ministère de l'intérieur a confirmé que le vélo était autorisé pour les déplacements utilitaire, mais les flics ne le savent pas tous : il y a eu plusieurs cas de cyclistes ayant écopé d'une amende alors qu'ils étaient dans leur droit. J'avais donc préparé, en plus de mon attestation, tout un laïus passionné à base de "tout le monde n'a pas de voiture", "circuler à moto est mille fois plus dangereux, regardez les statistiques", "De toute façon ce n'est pas le vélo qui est dangereux, ce sont les voitures qui sont dangereuses pour les vélos", "Ça fait vingt ans que je vais partout à vélo et je ne suis tombée qu'une seule fois", "Vous trouvez vraiment que c'est mieux de prendre le métro ?", "Je sais bien qu'il est tard mais justement il y a encore moins de monde dans les rues donc c'est moins dangereux", "A ma connaissance le couvre-feu n'a pas encore été décrété à Paris et de toute façon je viens juste de coucher mes gamins, figurez-vous, comment osez-vous faire des reproches à une mère célibataire de famille nombreuse débordée ?", "Laissez-moi passer, mon pauvre père est sur le point de mourir de faim", etc.

Manque de pot, je n'ai pas été contrôlée. Chuis déçue.

Bref, j'ai été raisonnable, j'ai roulé tranquillement, je n'ai (presque) pas fait de détour, et j'ai mis moins d'une heure pour faire l'aller-retour. Mais j'ai quand même apprécié cette sortie. Enfin un peu d'air, enfin un peu d'exercice qui n'implique pas de faire des pas chassés sur la moquette du palier, enfin des paysages autres que celui – certes très agréable, vu que je suis au 15ème étage – que j'ai depuis ma fenêtre !
Le retour a été particulièrement étrange. Il était 21h, et à part quelques joggeurs et quelques promeneurs de chien, les rues étaient vides. Dans le quartier d'affaire par lequel je suis passée, on se serait crus à la City de Londres un dimanche soir. Une ambiance de fin du monde.

Et puis c'est justement là, dans cette rue où il n'y a que des immeubles de bureaux entre un Starbucks et une sandwicherie, que j'ai croisé ce livreur Deliveroo qui apportait son repas à un égoïste qui préfère mettre en danger un travailleur sous-payé plutôt que faire sa pizza lui-même gourmand. Le livreur était à vélo. Je me trouvais à quelques dizaines de mètres derrière lui ; il ne m'avait pas vue ni entendue (pour une fois, je ne chantais pas à tue-tête, car l'atmosphère générale ne s'y prêtait pas). Et ce monsieur, en plein milieu de la rue – pas sur le trottoir, hein, mais au beau milieu de cette avenue déserte à 4 voies –, a arrêté sa byciclette, a mis pied à terre, et s'est mis à pisser. Le plus loin possible.

Les gens ne cessent de m'étonner.

(Heureusement, vu la largeur de l'avenue, j'ai pu passer à bonne distance du jet)

(J'ai aussi vu, dans ces rues où la moitié des places de stationnement sont désormais vides depuis qu'une bonne partie des 30% de Parisiens possédant une voiture sont partis se confiner à la campagne, une voiture garée sur la piste cyclable. Si. Juste en face d'une dizaine de places vides. Mais ça, ça ne m'étonne même pas...)



4 commentaires:

  1. Tu voulais dire "qu'on se serait cru au centre-ville de Langres un dimanche soir ", plutôt, non? ;)

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    1. J'y ai pensé ;-)
      Mais non, je parle d'un quartier composé uniquement de gratte-ciels et d'immeubles de bureaux modernes, donc plutôt la City que Langres...

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  2. Ici, dans le sud, je sors chaque jour dans la limite des contraintes imposées, pour prendre un peu le soleil et bouger un peu mes muscles ! Je n'ai pas croisé l'ombre d'un policier depuis le début du confinement ! Apparemment, ils sont sur le bord de mer pour verbaliser les irréductibles ! Je suis effarée de constater que chaque quartier respecte à sa façon les mesures de confinement : rues quasi désertes par endroit, rassemblements généralisés dans d'autres. Nous ne sommes pas égaux face au virus !

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  3. Je pense qu'il fallait le faire au moins une fois. Il fallait que tu profites de la magie étrange des rues vides à Paris.

    Je digresse. Rouler dans des rues vides, n'est-ce pas d'habitude un cliché de pub de voiture? Pour une fois que c'est en vélo, le décalage crée un effet presque drôle.
    (On y voit quasi toujours des ravis de la crèche circuler seuls dans leur voiture dans des rues quasi vides. Dans les débats, on avance parfois l'idée d'interdire ce type de publicité, pour endiguer le message subliminal qui va avec. "Je suis un individu-roi, la route la rue et la ville sont à moi".)


    Une des premières vidéos que j'ai vu dans les 1er jours de confinement, c'était sur la cataphilie (et l'accès à des toits de bâtiments parisiens).
    https://www.youtube.com/watch?v=5gUNuixo3VU

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