vendredi 10 mars 2017

Le carnaval de Bâle

La semaine dernière, quand j'ai annoncé à droite et à gauche que je partais au carnaval de Bâle, je n'ai récolté que des regards étonnés.Visiblement, la plupart des gens en France n'en ont jamais entendu parler. Et pourtant, c'est une tradition multiséculaire (je n'ai pas réussi à trouver de date de début, mais il existait déjà au XIVe siècle), et c'est un pur enchantement. Trois jours, 72 heures exactement, de musique, de costumes, de liesse.
J'y étais déjà allée une fois auparavant, quand j'avais une dizaine d'années, car c'est la ville d'origine de mon père adoptif. J'en avais gardé un souvenir très vif, et je savais que je voulais y retourner un jour, pour partager avec mes enfants ce que lui-même avait partagé avec moi à l'époque.

Et donc, dimanche dernier, nous avons pris le train jusqu'à Bâle, en Suisse, avec mon père adoptif et les trois petits (le Grand pouvait difficilement rater trois jours d'école). Un premier après-midi en ville, une première promenade avec pèlerinage jusqu'au parc où il jouait autrefois à courir en été et à faire de la luge en hiver, un délicieux goûter dans un salon de thé, un dîner rapide à l'auberge de jeunesse où nous logions, et zou, au lit. Tôt. Car le réveil était mis pour 3h du matin le lendemain.

"Hein ?" me direz-vous. "Tu as vraiment levé tes gamins à 3h du matin ?". Eh oui, j'ai fait ça. Pour une bonne raison : le carnaval commence à 4h précisément, et cette incongruité faisait partie de mes souvenirs les plus magiques. Hébétés de sommeil, on se lève, on s'habille en deux minutes, on enfile aux gamins des étiquettes avec noms et numéros de téléphone (on ne sait jamais), et on part. Un monde fou dans les rues, bien sûr. En plein milieu de la nuit. Ça fait drôle. Et puis on se poste près d'une église, on perche les enfants sur un muret, et on attend.
4h moins le quart, les musiciens bavardent, les gens circulent encore, certains boivent dans des thermos.
4h moins cinq, tout le monde se prépare. Ceux qui ont des masques les enfilent. Les badauds ne bougent plus.
4h moins deux, le silence total se fait. C'est peut-être ce qui m'a le plus marqué : ce silence d'une énorme foule qui attend.
4h, l'horloge de l'église sonne un coup. Deux. Trois. Quatre.
Et tout à coup, tous les réverbères s'éteignent brusquement, et seules les lanternes des musiciens font encore de la lumière. Et en même temps, les fifres commencent à jouer, tous ensemble, et une musique aigrelette s'élève.
Le carnaval a commencé.
Un moment incroyable. Vraiment.



Bien entendu, nous ne nous sommes pas promenés très longtemps : trois quart d'heures dans la foule à regarder passer les costumes et entendre les mélodies des groupes qui se succédaient, avec les enfants, c'était déjà bien. Heureusement, j'avais pensé à prendre mon porte-bébé, et j'ai pu installer le Filou sur mon dos quand il a commencé à flancher. Retour à l'auberge, retour au lit. On finit la nuit – sans grasse matinée, malheureusement : à 7h30, les enfants ont décidé que c'était l'heure de se lever.

Ce matin-là, il faisait très gris, et les carnavalistes n'étaient plus très actifs après leur nuit blanche, donc nous sommes allés dans un lieu dont j'avais aussi gardé le souvenir, trente ans après y avoir été emmenée moi-même par mon père adoptif : à la frontière entre la France, l'Allemagne et la Suisse, trois pays avec lesquels j'ai des liens familiaux. Un endroit étonnant, un port industriel totalement déserté par les touristes, assez laid comme tous les ports industriels, mais qui m'a beaucoup plu par son côté iconoclaste (on était si loin des costumes multicolores et de la cathédrale somptueuse !). Et l'occasion d'expliquer plein de choses aux enfants, qui n'avaient jamais vu une déchetterie d'aussi près, et qui n'en revenaient pas de voir deux autres pays à quelques dizaines de mètres, sur la rive opposée.



Lundi après-midi, défilé ! Des chars, des groupes avec des costumes tous plus magnifiques les uns que les autres (j'imagine que là, au moment où je vous écris, ils ont déjà commencé à préparer ceux de l'année prochaine), des fanfares, des masques... mais surtout des chars, et dans ces chars, des Waggis, figures traditionnelles du carnaval bâlois, avec des grands masques surmontés d'une énorme chevelure, et un nez rouge disproportionné (le Filou les appelle encore "les gros nez"). Et ces Waggis, figurez-vous qu'ils distribuaient... des bonbons ! Je vous laisse imaginer la joie des gamins. Certes, les bonbons s'accompagnaient parfois d'une poignée de confettis, mais du point de vue des mômes, ça valait le coup de courir le risque. Comme les Waggis représentent à l'origine des paysans (alsaciens), certains distribuaient aussi des légumes : en plus des trois kilos de bonbons récoltés pendant les deux jours, nous avons aussi eu droit à une carotte, une orange, une grappe de raisin (!), et même un œuf.

Combien de temps pour fabriquer ces costumes à base d'emballages ?
(Cliquez sur les images pour les voir en grand)



Oui, il y avait même Sa Majesté.



Le mardi, bonne surprise : la pluie qui était tombée par intermittence la veille (mais pas à 4h du matin, heureusement) avait cessé, et le ciel était, sinon bleu, du moins suffisamment dégagé. Du coup, nous en avons profité, et nous n'étions pas les seuls : il y avait une foule impressionnante (mais jamais oppressante) dans les rues. C'était aussi le jour où, en plus des chars, des fanfares et des groupes de fifres et tambours, il y avait énormément d'enfants déguisés. Une ambiance très joyeuse, des confettis qui s'accumulaient tellement que par endroit on ne voyait plus le sol, encore quelques bonbons distribués, tant de choses à voir qu'on ne savait plus où donner de la tête, une gaité folle partout, dans toutes les ruelles, sur toutes les places, autour de toutes les fontaines. Un carnaval, quoi.

Je devrais faire ça avec mon triporteur...


J'ai encore à certains moments la musique des fifres dans la tête.


L'un des plus jeunes Waggis croisés
(Sans gros nez)


Et puis le mercredi matin, juste le temps d'une dernière promenade dans les rues momentanément apaisées (un nouveau défilé devait avoir lieu l'après-midi, mais mon père et moi avions décidé que deux jours suffisaient), juste le temps d'apprécier cette ville très largement piétonne (des trams, des vélos, quasiment aucune voiture dans le centre ville : le paradis), très jolie avec ses ruelles pentues, ses maisons aux poutres apparentes, ses fontaines dans tous les coins, et le Rhin qui traverse majestueusement la ville (et que nous avons traversé, nous, en bac, pour la plus grande joie des enfants).






Et déjà, il fallait reprendre nos bagages, dire au revoir, remonter dans le train. Avec une certaine fatigue accumulée, tout de même, mais aussi le désir de revenir dans quelques années, sans attendre de nouveau trente ans.

Et depuis mercredi, Miss Thing One dessine des chars, le Filou se fabrique des tambours avec des bouts de bois, et Mr Thing Two se découpe des fifres dans des feuilles de papier enroulées. Je pense qu'ils ne sont pas près d'oublier ces moments hors du commun...



2 commentaires:

  1. Ficelle for Ever11 mars 2017 à 17:36

    Pffiou, je viens de me souvenir des récoltes de bonbons des carnavals allemands, et je viens de prendre un sacré coup de vieux.

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  2. J'aurai fait les mêmes yeux étonnés que la plupart des gens a qui tu en as parlé. Ca donne vraiment vraiment envie!

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